Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/255

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brave homme, il n’est devenu méchant et bête que du jour où il s’est figuré qu’il n’y avait personne de plus intelligent que lui.

» Ils vinrent donc, ton père et ta mère, un dimanche de pardon des offenses ; tous deux si proprets et si coquets que j’en fus toute réjouie. Maxime s’avança vers grand-père qui lui arrivait à l’épaule et lui dit : « Pour l’amour de Dieu, ne crois pas que je suis venu chez toi chercher une dot. Je suis venu pour rendre hommage au père de ma femme. » Ces paroles plurent à grand-père qui sourit : « Ah ! brigand, grosse bûche ! Assez plaisanté ! Vous viendrez vivre avec nous ! » Maxime fronça le sourcil : « Cela m’est bien égal, je ferai comme Varioucha en décidera ! » Là-dessus ils commencèrent à se chicaner, sans parvenir à se mettre d’accord. J’avais beau, de l’œil, faire signe à ton père et lui donner des coups de pied par-dessous la table, non, il continuait à discuter. Quels beaux yeux il avait, des yeux francs et joyeux, et ses sourcils ! des sourcils noirs, épais, qui cachaient ses yeux quand il les fronçait. Dans ces moments-là il prenait un air sombre, obstiné, et j’étais la seule personne qu’il consentait à écouter. Je l’aimais, je l’aimais beaucoup plus que mes propres enfants ; il le savait d’ailleurs et me le rendait bien. Il me serrait parfois contre lui, ou bien me prenait dans ses bras, en me disant : « Tu es vraiment ma mère, comme la terre, et je t’aime plus que Varioucha ! » À cette époque-là, ta mère était une espiègle, une joyeuse gamine qui se jetait sur lui en criant : « Tu oses dire des choses pareilles, bonhomme aux oreilles salées ! » Et nous nous amusions