Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/262

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

père tomba malade et, pendant sept semaines, il traîna, hanté par l’idée de départ. À tout instant, il me répétait : « Ah ! maman, venez avec nous dans une autre ville, on étouffe ici ! » Bientôt, en effet, il partit pour Astrakhan, où le tsar devait se rendre dans le courant de l’été : il était chargé de construire les arcs de triomphe. Ta mère l’accompagna par le premier bateau. Je les quittai avec chagrin ; Maxime était triste et m’encourageait à les suivre, ou à prendre mes dispositions pour aller les rejoindre, mais Varioucha, elle, la coquine, était enchantée et ne cherchait même pas à cacher sa joie… Et ils s’en allèrent… Et voilà tout…

Elle but une gorgée d’eau-de-vie, prisa et continua d’une voix pensive, en regardant le ciel.

— Oui, nous n’étions pas de la même famille par le sang, ton père et moi ; mais nos âmes étaient parentes…

Parfois, tandis qu’elle parlait, grand-père survenait à l’improviste ; sa figure de putois levée en l’air, il flairait, examinait sa femme d’un œil méfiant, l’écoutait et bougonnait :

— Radote, radote…

Et à brûle-pourpoint il m’interrogeait :

— Alexis, est-ce qu’elle a bu de l’eau-de-vie ?

— Non.

— Tu mens, je le vois à tes yeux.

Mais il n’insistait pas et s’en allait, indécis, tandis que grand’mère, le désignant d’un clignement de sourcil, énonçait quelque dicton :

— Va-t’en voir ailleurs si j’y suis !

Un jour, immobile au milieu de la pièce, les