Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/275

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Je ne bougeai pas ; l’angoisse me ligotait. Maximof allongea précautionneusement ses longues jambes, tandis que grand’mère lui confiait toutes sortes de paquets qu’il entassait sur ses genoux et maintenait

avec son menton ; son visage blême se ridait peureusement :

— Assez ! disait-il d’une voix traînante.

La vieille verte et son fils aîné, l’officier, prirent place dans une seconde voiture ; l’une raide comme une statue, l’autre se grattant la barbe avec la poignée de son sabre, et bâillant de temps à autre.

— Ainsi, vous irez à la guerre ? lui demanda grand-père.

— Certainement.

— Vous ferez bien. Il faut battre les Turcs…

Les voyageurs partirent. À plusieurs reprises, ma mère se retourna en agitant son mouchoir ; appuyée d’une main au mur de la maison, grand’mère, qui faisait elle aussi des signes avec ses bras, pleurait de tout son cœur, tandis que grand-père écrasait les larmes apparues au bord de ses paupières et grommelait d’une voix saccadée :

— Cela ne finira… pas bien… non… pas bien…

Assis sur une borne, je regardais les voitures s’éloigner, puis disparaître au tournant de la rue ; il me sembla que dans ma poitrine quelque chose brutalement se fermait à jamais.

Il était encore très tôt ; les contrevents cachaient les fenêtres des maisons ; la rue était déserte ; jamais encore je ne l’avais vue aussi morte, ni aussi vide. Au loin, un berger faisait entendre une mélodie obsédante.