Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/280

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détruire mes constructions du jardin m’inquiétait particulièrement, car c’était la première œuvre que j’eusse accomplie de ma propre initiative.

Les propos de grand-père ne m’intéressaient plus. Toujours plus sec, plus geignard, plus bougon, il querellait sans cesse grand’mère qu’il chassait quelquefois de la maison ; elle s’en allait alors, soit chez l’oncle Jacob, soit chez l’oncle Mikhaïl, et parfois ne rentrait pas de plusieurs jours ; grand-père cuisinait alors lui-même ; il se brûlait les doigts, il braillait, il jurait, cassait la vaisselle. Son avarice allait croissant.

Parfois, quand il venait sous ma tente, il s’asseyait confortablement sur le gazon et me regardait travailler pendant un grand moment sans mot dire. Puis il demandait soudain :

— Pourquoi gardes-tu le silence ?

— Je ne sais ! Et toi, pourquoi me poses-tu cette question ?

Il se mettait à discourir.

— Nous ne sommes pas des seigneurs. Nous n’avons personne pour nous donner des leçons ; nous devons tout comprendre par nous-mêmes. C’est pour les autres qu’on écrit des livres et qu’on bâtit des écoles ; mais pour nous, il n’y a encore rien de prêt.

Il se plongeait alors dans ses pensées, il se desséchait. Immobile et muet, il devenait presque effrayant.

En automne, il vendit sa maison. Peu de temps auparavant, un matin, au moment de déjeuner, il avait déclaré à grand’mère d’une voix maussade et résolue :

— Tu sais, mère, je t’ai nourrie jusqu’à maintenant,