Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/283

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— Tout ! confirma mon beau-père avec assurance. Nous avons failli y rester nous-mêmes…

— Ah ! le feu ne plaisante pas !

Penchée sur l’épaule de grand’mère, ma mère lui chuchota dans l’oreille quelque chose et l’aïeule ferma les paupières, comme si la lumière l’eût soudain blessée. Je m’ennuyais de plus en plus.

Cependant grand-père répliqua très haut, d’une voix malicieuse :

— C’est bizarre, mon ami, il m’est venu aux oreilles qu’il n’y a pas eu d’incendie du tout, mais que tu as tout bonnement perdu aux cartes…

Il se fit un silence absolu, le samovar sifflait ; la pluie cinglait les vitres ; ma mère supplia :

— Papa…

— Quoi ? Pa-pa-a ? et mon aïeul se mit à crier d’une voix assourdissante. Qu’arrivera-t-il encore ? Ne t’ai-je pas prévenue ? Quand on a trente ans, on n’épouse pas un homme qui en a vingt ! Voilà ! Il est raffiné, n’est-ce pas ? Et toi, tu es de la noblesse, maintenant, hein ? Qu’en dis-tu, ma petite ?

Ils se mirent à vociférer tous les quatre ensemble, mais mon beau-père braillait plus fort encore que tous les autres. Je me réfugiai dans le corridor où l’on avait empilé le bois ; l’étonnement me pétrifiait. On m’avait changé ma mère ; elle n’était plus du tout comme auparavant. Dans la chambre, je l’avais moins remarquée ; mais seul dans la pénombre, je me rappelais mieux sa physionomie d’autrefois.

Je n’ai qu’une vague souvenance des circonstances qui suivirent. Je me rappelle que je me retrouvai à Sormof, dans une maison où tout était neuf, mais