Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/296

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boutique qui s’ouvrait près de l’église Saint-Vladimir, j’avais bien trouvé le Robinson lui aussi ; c’était un maigre petit bouquin à couverture jaune sur laquelle on voyait un homme barbu, en haut bonnet de fourrure et vêtu d’une peau de bête. Cette gravure ne m’ayant pas charmé, j’optai pour les contes qui me séduisirent, même par leur extérieur, quoiqu’il ne fût pas bien brillant.

Pendant la grande récréation, je partageai pain et saucisson avec mes camarades, puis nous commençâmes la lecture d’un conte merveilleux, le Rossignol, qui nous empoigna singulièrement.

Je ne parvins pas à achever la lecture du Rossignol à l’école, le temps me manqua et quand je rentrai, ma mère, debout devant le foyer, tenant à la main une poêle où elle faisait cuire une omelette, me demanda d’une voix altérée :

— Tu as pris le rouble ?

— Oui, tiens, voilà les livres !…

Elle me frappa avec la poêle, à coups redoublés, et ce qui me fut plus douloureux que les coups, m’enleva les livres d’Andersen qui furent à tout jamais perdus pour moi.

Je ne retournai pas à l’école de quelques jours. Durant ce temps, mon beau-père raconta sans doute mon exploit à ses collègues qui le répétèrent à leurs enfants, car l’un de ceux-ci rapporta l’histoire à l’école et, lorsque je revins, on m’accueillit par un sobriquet nouveau : « Voleur ! » C’était bref et net, mais faux. Je ne niai pas que je m’étais approprié le billet, mais quand j’essayai d’expliquer mon acte, on ne voulut pas me croire. Devant cette attitude, je