Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/3

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Ces propos me semblaient bizarres, peu clairs et invraisemblables. Au-dessus de nous vivaient des Persans barbus au teint coloré, tandis que le sous-sol était occupé par un vieux Kalmouk tout jaune, qui vendait des peaux de moutons. Et l’eau, que venait-elle faire dans cette affaire ? Cette femme embrouillait tout ; mais ce qu’elle disait était drôle. Elle parlait d’une voix douce, gaie et chantante. Dès le premier jour, nous fûmes amis, et à ce moment-là j’aurais voulu qu’elle quittât avec moi, et au plus vite, cette chambre lugubre.

C’est que ma mère m’impressionne ; ses larmes et ses gémissements ont éveillé en moi un sentiment inconnu jusqu’alors : l’inquiétude. C’est la première fois que je la vois ainsi : en temps ordinaire, elle gardait une attitude sévère et parlait peu. Très grande, toujours propre et bien arrangée, elle montrait un corps aux lignes nettes et des bras vigoureux. Aujourd’hui elle m’apparaît comme boursouflée, les traits ravagés, les vêtements en désordre ; ses cheveux disposés sur sa tête en un casque volumineux et blond retombent en mèches sur le visage et sur l’épaule ; une des nattes descend même effleurer la figure du père endormi. Je suis dans la chambre depuis longtemps déjà, et pourtant ma mère ne m’a pas regardé une seule fois ; elle continue en geignant à lisser la chevelure de son époux et les larmes l’étouffent par moment.

Soudain la porte s’ouvre ; des paysans sont là, accompagnés d’un sergent de ville qui crie sur un ton irrité :

— Arrangez-le et dépêchez-vous…