Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/304

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lendemain, c’était grand-père qui fournissait le pain et les victuailles ; mais alors les repas n’étaient ni copieux ni succulents ; grand’mère achetait de la bonne viande tandis que lui ne prenait que des tripes, de la fressure ou de la fraise de veau. Chacun d’eux avait en propre son thé et son sucre, mais ils faisaient leur infusion ensemble, dans la même théière ; grand-père disait d’une voix inquiète :

— Attends, attends, combien en as-tu mis ?

Il se versait une pincée de thé dans la main, comptait soigneusement les feuilles et déclarait :

— Ton thé est plus brisé que le mien ; je dois donc en mettre moins que toi, car le mien a de plus grosses feuilles et il est plus avantageux.

Il veillait soigneusement à ce que le thé qu’elle prenait fût de la même force que celui qu’elle lui servait ; il voulait aussi boire un nombre de tasses égal à celui qu’elle absorbait.

— Encore une, la dernière, hein ? demandait-elle, avant de vider la théière.

Grand-père jetait un coup d’œil dans le récipient et répondait :

— Eh bien, oui, la dernière !

Chacun d’eux achetait également à son tour l’huile pour les lampes qui brûlaient devant les images saintes ; et ces deux vieillards avaient travaillé ensemble pendant un demi-siècle !

Ces exploits de grand-père m’amusaient et me révoltaient à la fois ; grand’mère se contentait d’en rire.

— Ne t’en inquiète pas, me consolait-elle. La belle affaire ! Il est tellement vieux qu’il devient bête. Il