Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/309

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Avec cette somme, on pouvait se nourrir très suffisamment pendant un jour ; mais Viakhir était rossé s’il ne rapportait à sa mère de quoi acheter un peu d’eau-de-vie ; Kostroma faisait des économies, rêvant d’élever des pigeons. La mère de Tchourka était malade et il tâchait de gagner le plus possible. Chabi gardait aussi tout son argent pour regagner la ville où il était né et d’où l’avait amené un oncle qui s’était noyé peu après son arrivée à Nijni-Novgorod. Chabi d’ailleurs avait oublié le nom de son lieu d’origine ; il savait seulement que son pays se trouvait quelque part au bord de la Kama, près du Volga.

Cette manie nous amusait beaucoup et nous taquinions le petit Tatare aux yeux bigles en chantant :

La ville est sur la Kama ; où ? Nous n’en savons rien.
On ne peut pas la toucher en tendant le bras, ni y arriver en marchant !

Au commencement, Chabi s’était fâché ; mais Viakhir, d’une voix roucoulante, qui justifiait son sobriquet de « Jaseur », lui avait dit :

— Voyons ! Est-ce qu’on boude entre camarades ?

Le petit Tatare avait baissé l’oreille et, depuis lors, il chantonnait avec nous le refrain de la ville sur la Kama.

Néanmoins, nous aimions mieux ramasser les os et les chiffons que de voler du bois. Ce travail devint très intéressant au printemps, lorsque la neige fondit et que les pluies lavèrent les rues pavées de la foire déserte. Sur cet emplacement-là, on pouvait toujours