Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/322

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Nicolas l’examine longuement puis il me jette un coup d’œil et sourit un peu. Cette ombre de sourire me trouble ; mon frère sentirait-il que je m’ennuie avec lui, que j’aimerais l’abandonner là et m’enfuir seul dans la rue ?

La cour est exiguë, malpropre et encombrée. De la porte cochère jusqu’au fond s’élèvent de petits hangars lambrissés de planches noueuses, des bûchers, des celliers ; à l’extrémité il y a la chambre à lessive qui sert aussi de salle de bains. Les toits sont tout encombrés de débris de barques, de morceaux de bois, de planches et de copeaux mouillés : on a tiré cela de l’Oka au moment de la crue et pendant la descente des glaces. Des monceaux de bois de toute espèce qui n’offrent rien de particulièrement agréable à contempler s’entassent un peu partout et l’eau dont ils sont imbibés, en s’évaporant au soleil, dégage de vagues relents de pourriture.

Dans le bâtiment mitoyen se trouvait un abattoir pour le petit bétail. Presque tous les matins, on entendait les meuglements des veaux ou les bêlements des moutons. L’odeur du sang qui s’en dégageait était si forte qu’il me semblait parfois la voir monter, réseau de pourpre transparente, comme on voit des vapeurs d’eau s’élever dans le soleil d’été.

Lorsque les animaux mugissaient, assommés par un coup de masse entre les cornes, Nicolas plissait les paupières et gonflait les joues ; il essayait probablement d’imiter ce cri de douleur, mais il ne parvenait qu’à exhaler péniblement l’air qu’il avait aspiré :

— F-fou…