Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/327

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voya chercher du tabac chez une boutiquière juive. Celle-ci n’avait point de tabac râpé ; il fallut attendre qu’elle m’en préparât et le rapporter ensuite à mon aïeule.

Quand je revins chez grand-père, ma mère était assise près de la table ; vêtue d’une jolie robe mauve, bien coiffée, elle avait repris son grand air d’autrefois.

— Tu es mieux ? demandai-je, intimidé sans savoir pourquoi.

— Viens ici ! Où as-tu rôdé, réponds ?

Je n’en eus pas le temps : elle me prit par les cheveux et, de l’autre main, s’emparant d’un couteau long et souple, taillé dans une scie, elle me frappa tant qu’elle put du plat de la lame jusqu’à ce que le couteau lui échappât des doigts.

— Ramasse-le ! Donne-le-moi !

J’obéis et je lançai le couteau sur la table ; ma mère me repoussa et je m’assis sur le marchepied du poêle, épiant ses gestes avec effroi.

Elle se leva et se dirigea lentement vers le coin qu’elle occupait d’ordinaire. Après s’être étendue sur le lit, elle prit son mouchoir et essuya son visage en sueur. Ses gestes étaient incertains ; par deux fois, sa main retomba sur l’oreiller sans que le mouchoir touchât la figure.

— De l’eau…

J’en puisai une tasse dans le seau ; soulevant la tête avec effort, elle but une gorgée de liquide et de sa main glacée repoussa la mienne. Un profond soupir lui échappa. Ensuite, elle regarda les saintes images, puis ses yeux se posèrent sur moi ; elle