Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/35

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ment sensible à toutes les humiliations et à toutes les souffrances personnelles ou étrangères.

Avant tout, je fus très frappé par la querelle qui mit aux prises ma mère et ma grand’mère ; dans la pièce étroite, mon aïeule se jeta sur ma mère, la poussa dans un coin, près des images saintes et, d’une voix sifflante, lui reprocha sa pusillanimité :

— Pourquoi ne le lui as-tu pas arraché ?

— J’ai eu peur !

— Une gaillarde comme toi ! Tu devrais avoir honte ! Je suis vieille, moi, et je n’ai pas peur ! Tu devrais avoir honte ! te dis-je.

— Laisse-moi tranquille, maman, j’ai le cœur brisé !

— Non, tu ne l’aimes pas ; tu n’as pas pitié de l’orphelin !

Mère répondit tout haut, avec accablement :

— Je suis seule, moi aussi, à tout jamais.

Après cette scène, elles pleurèrent longtemps toutes deux, assises sur un coffre dans un coin de la pièce, et mère disait :

— Si Alexis n’était pas là, je serais déjà partie ! Je ne peux pas vivre dans cet enfer, non, je ne peux pas, maman ! Je n’en ai pas la force !

— Ma chérie, mon petit cœur ! chuchotait grand’mère.

Je gravai dans ma mémoire cette conclusion : ma mère n’était pas la plus forte ; comme tout le monde, elle avait peur de grand-père. C’est moi qui l’empêchais de quitter une maison où elle ne pouvait pas vivre. Comme c’était triste ! Bientôt, en effet, ma mère disparut ; « elle était allée en visite », me dit-on, mais je ne sus jamais où.