Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/37

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fils d’une pauvre femme, je suis arrivé à une belle situation, je suis devenu le président de ma corporation, je commande à des gens…

Allongeant à côté du mien son corps sec et bien proportionné, il se mit à me parler des jours de son enfance et ses phrases, en paroles énergiques et pesantes, s’égrenaient avec une aisance habile.

Ses yeux verts s’enflammèrent, sa toison rousse se hérissa gaîment et sa voix aiguë devint plus grave tandis qu’il me clamait dans la figure :

— Tu es venu en bateau ; c’est par la vapeur que tu es arrivé jusqu’ici ; mais moi, dans ma jeunesse, c’est avec mes seules forces que je remorquais les barques contre le courant du Volga. La barque voguait sur l’eau ; moi, j’étais sur la rive ; j’allais pieds nus sur les cailloux coupants, parmi les éboulis, du lever du soleil jusqu’à la grande nuit. Le soleil t’incendie la nuque, ta tête bout comme du plomb fondu et toi, courbé en trois morceaux, courbé à faire craquer tes os, tu marches, tu marches, sans même voir la route, parce que tes yeux sont baignés de sueur ; ton âme est dans la tristesse et tes larmes coulent. Ah ! Alexis ! Tu marches, tu marches, et puis tu t’affaisses, le nez contre terre, et tu es bien content ; tu te dis que tu as dépensé toutes tes forces, que tu n’as plus qu’à te reposer ou à crever. Voilà comment on vivait naguère sous l’œil de Dieu, sous l’œil du miséricordieux Seigneur Jésus. Et c’est ainsi que j’ai descendu et remonté trois fois les rives du Volga : de Simbirsk à Rybinsk, de Saratof ici, d’Astrakhan à la foire de Makarief ; et cela fait des milliers de verstes. La quatrième année, j’ai accompli