Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/48

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la partie. Parfois venaient aussi le diacre de l’église de l’Assomption, bonhomme hirsute et antipathique, et d’autres personnages encore, qui me semblaient visqueux et noirs, pareils à des brochets ou à des lottes.

On mangeait et on buvait beaucoup ; on respirait avec bruit ; les enfants avaient droit à des friandises, ainsi qu’à un petit verre de liqueur douce ; et peu à peu, une animation ardente, mais étrange, s’emparait de tous.

L’oncle Jacob accordait sa guitare avec des attentions d’amoureux, ensuite de quoi il proférait ces paroles, toujours les mêmes :

— Maintenant, je vais commencer !

Secouant ses cheveux bouclés, il se penchait sur son instrument et tendait le cou comme une oie ; son visage rond et insouciant prenait un air endormi ; ses yeux au regard vif et insaisissable s’éteignaient dans des replis de chair adipeuse. Et, pinçant doucement les cordes, il jouait une mélodie mélancolique qui empoignait l’auditoire.

Sa musique exigeait un silence absolu ; pareille à un ruisseau impétueux, elle accourait de loin, on ne savait d’où ; elle s’infiltrait à travers le plancher et les murs ; elle agitait les cœurs et faisait naître un sentiment incompréhensible, composé à la fois de tristesse et d’inquiétude. En entendant ces airs, on avait pitié de soi-même et des autres ; les grandes personnes semblaient redevenues enfants ; tout le monde demeurait immobile, submergé dans un silence méditatif et profond.

Sachka surtout écoutait avec une attention parti-