Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/5

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ma mère essaya bien de se lever, mais elle retombait bientôt ; grand’mère, sans que je susse pourquoi, s’échappa de la pièce, roulant à la façon d’une grosse boule noire et molle ; puis, dans l’obscurité, un cri d’enfant retentit.

— Je te rends grâces, Seigneur ! C’est un garçon ! s’exclama l’aïeule qui rentrait.

Et elle alluma une chandelle.

Je m’endormis sans doute dans mon coin, car rien de plus n’est resté dans ma mémoire.

Le second souvenir de ma vie date d’une journée pluvieuse ; je revois un coin désert du cimetière ; je suis debout sur un tas de terre visqueuse et glissante et je regarde un trou dans lequel on vient de descendre le cercueil de mon père ; l’eau a envahi le fond et des grenouilles y barbotent ; deux d’entre elles ont déjà sauté sur le couvercle jaune du cercueil.

Je suis là avec grand’mère, le sergent de ville tout mouillé et deux hommes aux faces renfrognées, munis de pelles. Une pluie tiède et fine comme des perles nous asperge sans relâche.

— Comblez la fosse, ordonne le représentant de l’autorité, et il s’en va.

Grand’mère se met à pleurer, le visage enfoui sous un pan de son fichu. Les hommes se penchent et, à la hâte, jettent sur la boîte funèbre les mottes grasses qui tombent en faisant clapoter l’eau boueuse. Les grenouilles apeurées abandonnent alors le couvercle du cercueil et sautent pour s’enfuir entre les parois de la fosse ; mais les mottes de terre les font retomber.

— Va-t’en d’ici, Alexis, m’ordonna grand’mère en