Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/99

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Je m’imagine qu’elle habite quelque part au loin, dans une hôtellerie sur la grand’route, chez des bandits qui pillent les riches voyageurs pour partager ensuite leur butin avec les pauvres ? Peut-être a-t-elle trouvé asile dans une caverne de la forêt, chez de bons brigands, naturellement, pour qui elle fait la cuisine et dont elle garde les trésors ? Peut-être aussi, comme la princesse Engalitchef, en compagnie de la Sainte Vierge, parcourt-elle le monde pour en voir les splendeurs et les misères ?

Je me remémore ces légendes et je rêve.

Des piétinements, des hurlements venus du corridor et de la cour, me réveillent en sursaut. Penché à la fenêtre j’aperçois grand-père, l’oncle Jacob et Mélian, un Tchérémisse, cocasse, employé du cabaretier, entrain d’expulser l’oncle Mikhaïl qui résiste de toutes ses forces. Les coups, de tous côtés, pleuvent sur ses bras, sur son dos et sur sa nuque, et il est enfin projeté, la tête la première, dans la poussière de la rue. La porte basse claque, le loquet et le verrou cliquettent, la casquette fripée vient tomber à côté de l’ivrogne, et tout redevient silencieux.

Un instant, l’oncle reste ainsi sans mouvement, puis il se met sur son séant, ramasse une pierre et la lance contre le portail qu’elle heurte avec un bruit sonore. Des gens vagues sortent du cabaret, bâillent, reniflent, gesticulent ; des têtes apparaissent aux fenêtres des maisons voisines, la rue s’anime, crie et rit. Et tout cela aussi est pareil à un rêve, à un cauchemar.

Soudain, tout s’efface, tout se tait, tout disparaît.