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ANALYSE DE LA CONTROVERSE DU JANSÉNISME.


Ils avouent, en premier lieu, que l’Église est infaillible sur le droit, c’est-à-dire, comme ils l’entendent, dans le jugement qu’elle porte sur quelques propositions courtes et isolées. Mais si l’Église est infaillible en prononçant sur le sens naturel d’un texte court, pourquoi ne le sera-t-elle pas également en prononçant sur le sens naturel d’un texte plus ou moins long ? « En quel endroit de l’Écriture, ou en quel monument de la tradition, nous montrera-t-on une juste mesure, « qui soit réglée, pour faire une héréticilé de « dro t, et une autre, qui soit réglée, pour « faire une liérélicité de fait ? Y a-t-, dans les « textes, une borne fatale dans une certaine « page, qui change tout à coup le droit en « fait, et le fait en droit ? En deçà, l’héréticité est de droit, le Saint-Esprit décide, et « l’Église est infaillible. Au delà, cette même « héréticité n’est plus qu’un simple fait, le « Saint-Esprit se retire et abandonne l’Église. « Quelques blasphèmes que vous mettiez dans « votre texte contre les vérités fondamentales « de la foi, pourvu que ce texte soit long, il « ne s’agira jamais du point de droit, et tout « s’en ira en question de fait (1). »

En second lieu, les disciples de Jansénius se plaisent à représenter le texte de saint Augustin, comme revêtu d’une autorité singulière sur les matières de la grâce (2), « et « ils nomment hérétiques tous ceux qu’ils « croient opposés au vrai sens de ce saint « docteur. Mais on leur demande si l’Église « est infaillible ou non, pour discerner le « vrai sens de ce texte ? Si elle est infaillible « pour discerner le vrai sens, leur dit-on, « la voilà reconnue infaillible pour interpréter les textes différents du texte sacré ; et « toute la dispute est finie par ce seul aveu. « L’Église ne peut pas être moins infaillible, « pour condamner les textes hérétiques, que « pour approuver ceux qui sont purs et orthodoxes Si au contraire les défenseurs « de Jansénius soutiennent que l’Église a pu « se tromper en approuvant le texte de saint « Augustin, et qu’elle a pu fonder cette injuste approbation sur une fausse interprétatioD de ses paroles, ils se privent eux-mêmes de l’unique ressource qui pourroit « éblouir le public en faveur de leur cause. »

22. — Au reste il y a sur ce point deux observations importantes à faire : 1" Quoique l’infaillibilité de l’Église, dans les jugements qu’elle porte sur les textes dogmatiques en général, et sur chaque texte dogmatique en particulier, soit clairement établie par l’Écriture et la tradition, et ne puisse par conséquent être niée sans la plus insigne témérité, les théologiens ne conviennent pas qu’on soit obligé de croire, comme un article de foi dvine, chacun des faits dogmatiques décidés par l’Église (3) ; ils pensent même plus communément qu’on n’est obligé de le croire que comme un article de foi ecclésiastique, parce qu’il n’est pas révélé de Dieu immédiatement, mais seulement d’une manière médiate, en tant qu’il est contenu virtuellement et implicitement dans la promesse d’infaillibilité faite à l’Église. Selon cette dernière opinion, on ne devroit pas regarder comme hérétique, dans le sens rigoureux de ce mot, celui qui, admettant intérieurement la définition de l’Église sur le droit, n’admettroit pas de même la définition sur le fait, croyant que l’Église n’a pas saisi le véritable sens du livre de Jansénius, et que ce livre peut absolument être explique dans un sens catholique, par exemple, dans le système des^ Thomistes ou des Augxstin’c s. Celui qui penseroit ainsi, se rendroit à la vérité coupable d’un péché considérable, an moins par l’orgueil et la témérité qui lui fo roient préférer, dans une matière aussi grave, son jugement particulier à celui de toute l’Église. Mais il est permis de penser qu’il ne seroit pas proprement et rigoureusement tiérétiqne, ne contredisant pas une définition de l’Église, sur une vérité immédi lement révélée. Aussi nous avons remarqué ailleurs (4) que Fénelon a toujours fait abstraction de cette controverse théologique, en soutenant contre les novateurs l’infaillibilité des jugements de l’Église sur les textes dogmatiques.

23. — 2° Une observation non moins importante, et sur laquelle Fénelon insiste avec raison dans plusieurs de ses ouvrages (5),

(1) Première Instruction pastorale contre le Cas de con’Cience, J 3.

(2) Ibid. S12.

(3) On peut consnlfer sur (^ette quesli n, Régner, IV Ecclesia, tome II, page 87, etc. — Billuarl, rie EccUsia, art. 7, S’•-• Pe la Hogue, i>e Ecclesia, cap. 5, quaesf. 2, obj. 2. — Pey, De l’.lv.torile des deux puissances, 3 « partie, chap. 4, Sô.

(k) Voyez la première partie de crtte Histoire littéraire, article ^ « ^ section 4 « , n. ", page 62, etc. (5) Première Instr. yast. contre le Cas de conscience,