Page:Goudeau - Poèmes ironiques, 1888.djvu/13

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depuis longtemps exilés ; les farouches Brutes, aux larges gueules et aux pattes armées de griffes, récupéraient du coup la royauté terrestre. Plus de fusils, plus de flèches à redouter, plus de frondes. L’Homme redevenait le faible d’entre les faibles.

Ah ! il n’y avait certes plus alors de castes : ni savants, ni bourgeois, ni ouvriers, ni artistes, mais tous parias de la Nature, levant vers le ciel muet des yeux désespérés, pensant encore vaguement, quand l’horrible Crainte et la Peur hideuse leur laissaient un instant de répit, et parfois, le soir, parlant du temps des Machines où ils étaient Rois… Temps défunt !

Ils possédaient donc l’Egalité définitive dans l’anéantissement de tout.

Vivant de racines, d’herbes et d’avoines folles, ils fuyaient devant le troupeau immense des Fauves, qui, enfin, pouvaient à loisir manger de l’entrecôte ou du gigot humains.

Quelques hardis hercules essayèrent d’arracher des arbustes pour s’en faire des armes. Mais le Bâton lui-même, se considérant comme machine, se refusa à la main des audacieux.

Et l’Homme, ancien monarque, regretta amèrement les Machines qui l’avaient fait dieu sur terre ; et il disparut à jamais devant les éléphants, les noctambules lions, les aurochs biscornus et les ours immenses.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tel fut le récit que me fit l’autre soir un philosophe darwinien, partisan de l’aristocratie intellectuelle et de la hiérarchie.

C’est un fou, peut-être un voyant !

Ce voyant ou ce fou doit avoir raison : ne faut-il pas une fin à tout, même à un volume de fantaisies ?






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