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POÈMES IRONIQUES




LAMENTATION DE LA LUMIÈRE




Une nuit, je passais place du Carrousel.
La pluie avait chassé les étoiles du Ciel,
Et le tirage à cinq les louis de ma bourse ;
Et, morne, je hâtais fièvreusement ma course.

Tout à coup j’entendis un long susurrement
Qui tombait des hauteurs mélancoliquement,
Soupir éolien fait de notes égales,
Monotone et plus doux que le chant des cigales.

Cette plainte sortait, dans le silence noir,
Des globes dépolis d’où, sur Paris, le soir,
S’épandent les blancheurs du soleil électrique.
Et la voix murmurait sa mourante supplique :

« Ô mon père Apollon, que vous ai-je donc fait ?
« Moi, le Rayon lunaire, albe comme le lait,
« Moi, la flèche d’Azur et d’Or, moi, la Lumière !
« Moi, votre enfant la plus aimée et la première !
« Ô mon père Apollon, quel crime ai-je commis,
« Pour être ainsi livrée aux hommes ennemis ?
« Autrefois — il y a bien longtemps ! — dans l’espace
« J’habitais le Soleil et l’Étoile qui trace
« L’étincelant sillon dans le Chaos lointain :
« J’étais le messager de l’éternel Matin.
« Le germe qui rendait les planètes fécondes.
« L’aiguille du Destin qui reliait les mondes.
« J’étais Tout, la matière inerte ayant en moi
« Trouvé le Mouvement et sa Forme : sa Loi.