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88 ESTHÉTIQUE DE LA

trouver dans notre vocabulaire son exacte et claire contre-partie.

Un journal discourait naguère sur authoresse, et, le proscrivant avec raison, le voulait exprimer par auteur. Pourquoi cette réserve, cette peur d’user des forces linguistiques ? Nous avons fait actrice, cantatrice, bienfaitrice, et nous reculons devant autrice (Ⅰ), et nous allons chercher le même mot latin grossièrement anglicisé et orné, comme d’un anneau dans le nez, d’un grotesque th. Autant avouer que nous ne savons plus nous servir de notre langue et qu’à force d’apprendre celles des autres peuples nous avons laissé la nôtre vieillir et se dessécher. Cet aveu ne nous coûte rien : nous avons permis à l’industrie, au commerce, à la politique, à la marine, à toutes les activités nouvelles ou renouvelées en ce siècle, d’adopter un vocabulaire où l’anglais, s’il ne domine pas encore, tend à prendre au moins la moitié de la place.

L’histoire linguistique des jeux de plein air est curieuse. On en trouverait difficilement un

(Ⅰ) Autrice est français depuis au moins le XVIIIᵉ siècle : « AU- TRICE. Une dame Autrice, se trouve dans une pièce du Mercure de juin 1726. » Dictionnaire néologique a l’usage des Beaux Esprits du siècle (1727), par l’abbé Desfontaines.