Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il aurait pu emporter. Quoi que l’on ait dit, le second des Goncourt était peut-être le moins âpre des deux, en même temps que le moins esclave des règles réalistes ; dans les œuvres qu’il signa seul, le ton est plus uniforme, la tendresse plus profonde, la pitié plus humaine : peu de livres sont aussi touchants que les Frères Zemganno et peu sont plus poignants que la Fille Élisa. Les pages où il dit l’horreur du silence dans les bagnes de femmes auraient fait abolir cette coutume abominable si nous étions un peuple apte encore aux sentiments élémentaires de la miséricorde.

Enfin, et pour résumer l’impression que donne la vue panoramique de cette double existence, si noblement prolongée par l’un d’eux jusque vers l’extrême vieillesse, les Goncourt furent de miraculeux hommes de lettres. Victor Hugo souligna un jour sur un contrat son nom de ces mots, si vilipendés : homme de lettres. Plus justement encore, Edmond de Goncourt eût pu signer ainsi son testament. Il était « de lettres », comme on était jadis « de robe » ou « d’épée » ; il l’était tout entier, simplement, fièrement, — mais jusqu’à la souffrance et jusqu’à la manie, comme le prouve cette entreprise de monographies japonaises, qui,