Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/54

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Froid, non pas tiède, car le dédain de l’écriture n’a pas entraîné chez lui le dédain de l’action : les cœurs froids sont les plus actifs et leur patience à vouloir est infinie. Ayant donc des idées sociales (ou anti-sociales), M. Fénéon décida de leur obéir jusqu’au delà de la prudence. Cet homme qui s’est donné l’air d’un méphistophélès américain eut le courage de compromettre sa vie pour la réalisation de plans qu’il jugeait peut-être insensés, mais nobles et justes : une telle page dans la vie d’un écrivain rayonne plus haut et plus loin que de rutilantes écritures. On ne doit pas, comme un Blanqui, se rendre esclave des idées au point de s’ensevelir vivant dans la vanité du sacrifice perpétuel, mais il est bon d’avoir eu l’occasion de témoigner quelque mépris aux lois, à la société, au troupeau des citoyens ; si d’une vaine lutte on emporte quelque blessure, la cicatrice est belle.

Il ne fallait guère moins de courage pour opposer, en 1886, au « brocanteur Meissonier » le « radieux Renoir », pour vanter Claude Monet « ce peintre dont l’œil apprécie vertigineusement toutes les données d’un spectacle et en décompose spontanément les tons ». M. Fénéon se prouvait, il y a plus de dix ans, non seulement juge hardi de la