Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/112

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— « Vous semblez embarrassée, madame, puis-je vous être utile » ?

Elle le regarda, n’observa sans doute rien de désobligeant dans le ton ni dans les gestes, répondit :

— « Oui, vous pouvez me sauver, si vous avez quelque magnétisme. Appelez une voiture, obligez-moi de monter et reconduisez-moi ; je demeure avenue de Clichy, j’y vais à pied, sans pouvoir… sans pouvoir faire autrement… Vous m’avez vue ? Ainsi dès que je sors toute seule, je marche, je marche… et quand je rentre, c’est pour m’évanouir de fatigue et de honte. »

Entragues avait déjà, de sa canne levée, fait signe à un cocher qui s’approchait du trottoir.

— « Vous êtes seulement un peu névrosée, vous avez besoin de repos, voici la voiture, venez. »

Il prit son bras ; elle résistait, disant, car l’abîme venait de se clore :

— « Encore celle-ci, rien que celle-ci, la dernière. »

Elle était repartie, tournant la tête, suppliante, mais sans volonté.

Eh ! se dit Entragues, si je la prends de force, cela va ameuter les passants. Quant au magnétisme, je ne me vois pas faisant des passes à quatre heures du soir, en pleine avenue de l’Opéra. Il y a le regard sévère, la voix impérieuse. Singulière aventure et quelle drôle d’hystérique !

Cependant il l’avait rattrapée.

— Voyons, fit-il brusquement, la voiture attend. Venez.