Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/16

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en une activité intérieure et tout le possible de la vie s’ouvre à moi.

— « Vous devez être admirable pour feindre ?

— « Hé, madame, reprit Entragues, l’imagination ne détruit pas la sincérité : elle la vêt de brocatelles et de rubis, lui pose un diadème, mais sous le manteau royal comme sous les haillons, c’est toujours le même corps de femme. Orner la vérité, c’est la respecter. Cela me rappelle ces vieux évangéliaires si chargés d’enluminures que des yeux profanes y cherchent en vain le texte saint.

— « Il y a, reprit Sixtine, de difficiles écritures.

— « Quand on ne sait pas déchiffrer, il faut savoir deviner. Les femmes, qui sont les illettrées de l’amour, n’ont-elles pas aussi toutes les intuitions de l’ignorance ? Voyons, si je vous disais : « Le cœur sent battre le cœur ? » On se laisse encore prendre à quelques vieux aphorismes.

— « Rien n’est bon comme de se laisser prendre ! »

Étonnée toute la première d’une hardiesse de paroles dont Entragues cherchait en ses yeux le sens précis, elle riait.

Ce rire purement volontaire, et dont pourtant il pénétrait l’essence, le troubla. Prosateur strict et toujours à la quête du mot juste, jeune ou vieux, rare ou commun, mais de signifiance exacte, il s’imaginait que tout le monde parlait comme il écrivait, quand il écrivait bien. C’était de bonne foi qu’il s’entêtait à réfléchir, arrêté soudain par une inquiétude en face de tels mots de conversation, vêtements de vanités pures. La conscience de ce travers ne l’en