Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/262

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et là, rien. Ah ! c’est pénible, parce que jamais si beau corps ne m’aura été donné et je n’en ai pas joui. Non, je sens qu’un tel baiser eût été suprême. Adieu, pense à moi !

Sa fantaisie présente, songea Hubert, n’incite aucune répugnance. N’ai-je pas eu la folie des yeux, et en suis-je guéri ? La vision de deux grands yeux n’a-t-elle pas toujours été nécessaire à l’apogée de mon plaisir ? J’ai beau en connaître le point de départ, elle demeure bien étrange, cette constante union de deux sensations aussi différentes que la sensation visuelle et le spasme. Malade, ah ! malade originel et inguérissable !

(En buvant de l’absinthe : )

« L’ivresse est une très noble passion, et je veux l’acquérir… L’ivresse, il faudrait dire l’ivrognerie, mais les philanthropes ont traîné le mot dans la boue humanitaire de leurs dissertations anglicanes… Alcoolisme a été souillé, non moins… Ivresse me suffît. Cette absinthe est réconfortante. La Maïa blonde, il l’a peut-être aimée, ce misérable. Elle fut belle et voici ce qu’il en reste : un regret pathologique. Pourquoi mépriser l’ivresse ? C’est la plus intellectuelle des passions : elle ne déprime pas, comme le jeu ; elle n’affaiblit pas, comme l’amour. Ah ! quelle trouvaille ! L’absinthe n’a rien de nuisible ; c’est du vin vert et concentré. Pouvoir arriver à l’ivresse avec un seul verre de liquide, n’est-ce pas l’idéal ? Les Orientaux ont l’opium, mais il faut le ciel d’Orient. Et puis, ù chacun son système. L’important est que cela vous enlève hors du monde : tout ce qui nous arrache à