Page:Gourmont - Sixtine, 1923.djvu/32

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ant ma vie a marché d’un pas relativement léger. De toutes les douleurs que ma volonté n’a pu secouer, la plus lourde est ma solitude même. Je ne sais, ne m’étant jamais livré à ses tromperies, si l’espérance n’est autre chose qu’un sanglant éperon, éperonnant l’homme vers un néant futur, je ne sais si la blessure avivée sans relâche et la vue du sang répandu ne sont pas de puissants excitants nécessaires au fonctionnement du mécanisme humain, je ne les ai jamais ressentis. Je ne crois qu’à l’écurie finale, mais sans y aspirer ; la vie ne me déplaît pas encore assez : sans cela, n’ayant point de principes philosophiques à faire converger vers une pratique possible, je serais conséquent avec mon dégoût et lui donnerais sa sanction. Comme Crantor, je mourrai « sans m’étonner » ; si mes organes sont encore satisfaisants quand la mort viendra, peut-être avec regret. Quant à la survie, je n’ai point, touchant ce point, de données aussi tranquillisantes que le placier de Dreux : pour le moment, vraiment suprême, de la décomposition corporelle, le délicieux Inconscient nous réserve peut-être quelques-uns de ses bons tours ? Cette crainte relative me vient sans doute de ma jeunesse chrétienne, et ni l’une ni l’autre je ne les répudie : le catholicisme est une aristocratie. Comment cette positive religion peut-elle s’allier en moi avec l’idéalisme subjectif, je ne sais : c’est un amalgame obscur, comme toutes les hérésies. La théologie me procura toujours les plus agréables lectures : on peut d’Augustin aller à Claudien Mamert : les joies n’y sont pas moindres pour la