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IV.— INDICATIONS


« In carne enim ambulantes non

secundum carnem militamus. »

SAINT-PAUL, Cor. II, 10, 3.


Entragues n’écrivait que le matin, prolongeait souvent ses matinées jusque dans les après-midi. Quand il ne se sentait pas assez de lucidité pour la logique de la prose, il s’amusait : la poésie, simple musique qui n’admet ni la passion ni l’analyse, se destine seulement à suggérer de vagues sentiments et de confuses sensations ; une demi-conscience lui suffit. À l’imitation de l’admirable poète saint Notker, il composait d’obscures séquences pleines d’allitérations et d’assonnances intérieures. Aujourd’hui, Walt Whitman, avec son intuitif génie, restaurait sans le savoir, cette forme perdue de la poésie : Entragues, à certaines heures, s’y délectait. Cette littérature des environs du dixième siècle, ordinairement jugée la puérile distraction de moines barbares, lui semblait au contraire pleine d’une ingénue verdeur et d’un ingénieux raffinement. Notker le charmait encore par l’audace sanguine de ses métaphores, le charmait et le terrifiait en le jetant à genoux devant ce Dieu pour lequel la prière est un holocauste sanglant, et qui exige, comme un égorgement d’agneaux, « des louanges immolées » .