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le dragon rouge.

La pensée de Casimire fut : Parce que je n’y serais pas allée ; mais elle répondit :

— Parce que je vous en aurais déjà remercié.

— Mais songez, ajouta le marquis, que nous en aurons tous les hivers de semblables, quand nous serons mariés ; de plus belles encore, car vous les ordonnerez seule en souveraine. Je veux avoir dans mon palais un théâtre où nous jouerons la comédie, l’opéra, le ballet. Quelle heureuse vie ! Louis xiv a vécu ainsi quarante ans, les plus belles années de sa vie. Tout a été perdu pour lui, bonheur, joies, amours, dès qu’il a voulu faire la guerre. Moi je ne ferai pas la guerre…

— Et à qui la déclarerait votre majesté ?

— Je ne la ferais pas, bien entendu, si je pouvais la faire, répondit le marquis. Mais je suis un peu souverain ici. Est-ce que cet éclat ne vous a pas séduite ? Il vous appartiendra tout entier dans peu. Vous n’aurez pas de rivale en palais, en chevaux, en domestiques. N’est-ce pas là le bonheur ?

— Monsieur le marquis, interrompit Casimire, à deux heures après minuit, les gens qui rêvent dorment.

— Oh ! je ne dors pas, je ne rêve pas, s’écria le marquis.

— Ce n’est pas cela que j’ai voulu dire, reprit Casimire, qui avait très-exactement dit ce qu’elle avait pensé. J’ai voulu dire qu’à deux heures après minuit…

— Je comprends… à deux heures après minuit, s’écria le marquis, il est temps d’aller dormir, je me retire. C’est que tout m’effraie, ajouta-t-il en prenant son chapeau, un mot, un signe, un rien. Je suis comme quand on aime, n’est-ce pas ?

— Je n’en sais rien, dit Casimire.

— Méchante ! mais vous avez raison de feindre. Nous autres, jeunes gentilshommes, nous sommes trop portés à croire qu’on nous adore. Un peu de sévérité nous est due. Pas trop ! n’est-ce pas, ma charmante Casimire, pas trop ?

— Bonsoir ! monsieur le marquis.

— Bonne nuit, mon espérance !