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le dragon rouge.

Cette destinée inactive et muette qu’elle avait faite au commandeur prêtait à celui-ci un caractère dont le monde ne se rendait pas bien compte. Les uns le croyaient misanthrope à l’excès, les autres au-dessous de tout mérite personnel, puisque sa belle-sœur, elle, la trésorière de toutes les faveurs, n’en faisait pas même un mince gouverneur de quelque petite province ; les autres voyaient dans le commandeur un philosophe, un sage, prenant en mépris toute l’agitation qui bouillonnait autour de lui.

Le commandeur n’était rien de tout cela ; il était enchaîné à la volonté d’une femme supérieure, la pire espèce de servitude qui se puisse imaginer.

Les choses en étaient là ; le char de la marquise de Courtenay, attelé aux six chevaux blancs de la prospérité, roulait sans obstacles, lorsqu’un jour un jeune homme se présenta à l’hôtel, et demanda, avec beaucoup d’instances, à parler à madame la marquise. Il semblait avoir choisi le moment où elle était seule. Les domestiques l’introduisirent ; quoiqu’elle ne l’eût jamais vu, la marquise sentit courir à son aspect le frisson de la mort dans ses veines, elle si supérieure, en toute occasion, à ses émotions. Le jeune homme se posséda parfaitement, quoique la surprise de la marquise ne lui eût pas échappé.

— Madame la marquise, lui dit-il, je suis Raoul de Marescreux.

— Raoul de Marescreux ! répéta la marquise en reculant, avec son fauteuil, comme si l’ombre de son père l’eût tirée en arrière.

— Je suis Raoul de Marescreux, dit une seconde fois le jeune homme.

— Le fils de monsieur de Marescreux ? celui…

— Lui-même, madame la marquise.

— Que me voulez-vous, monsieur ?

— Voici ce que je veux, madame, ce que j’attends de vous : je suis sous-lieutenant dans les dragons du Béarn, je veux être