Page:Gozlan - Le Dragon rouge, 1859.djvu/31

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II


Il est triste de dire que, des deux frères, le plus aimé, le plus recherché de la société polonaise ne fut pas le jeune homme aux utiles travaux, aux dures veilles, à la vie simple et retirée ; ce fut l’autre, le rimailleur musqué, le coureur d’aventures, le Boufflers des ruelles. On oublia même plus d’une fois d’inviter celui-ci aux fêtes dont l’autre était le héros : on le trouvait trop sévère ; il ne dansait pas, ne jouait jamais. Qu’était-il venu faire en Pologne ?

Ces différents accueils ne refroidirent pas l’amitié du commandeur pour son frère aîné, le marquis de Courtenay. C’est que cette amitié, d’abord innée au cœur noble, au cœur excellent du commandeur, s’augmentait en lui d’un respect pour ainsi dire fanatique envers son frère, et cela tout simplement parce que son frère était l’aîné, le gardien du nom, l’héritier du titre ; l’aîné ! mot magique dont on ne sait plus aujourd’hui l’immense valeur. L’aîné voulait dire le père, qui voulait dire Dieu ; l’aîné voulait dire, par conséquent, l’anneau le plus solide entre le passé de la race et son avenir ; l’aîné voulait enfin dire l’honneur de la maison : chaque famille était une monarchie dont l’aîné était le roi.

Et comme autrefois on respectait le roi malgré ses écarts et ses fautes, voyant à travers lui le principe monarchique qui