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le dragon rouge.

mières amours qui sont les meilleures, ajouta-t-il ; elles sont comme les premières dents, il faut qu’elles tombent.

— Voilà une histoire ! s’écria Marine ; à ce compte on changerait trois fois, quatre fois, tant que les dents tomberaient. Ne l’écoute pas, Casimire ; c’est un chat de gouttière, notre marquis, qui voudrait faire venir l’habitude d’aller rôder sur les toits, parce qu’il ne peut pas rester les pattes croisées, assis auprès du feu.

— Du tout ! du tout ! Si c’est de moi qu’il s’agit, je dis que je cherche et que je trouverai une passion constante. Là dessus il roucoula un couplet de romance dont il avait oublié l’air et les paroles.

— Ah ! mon Dieu ! fit Marine en poussant un gros soupir.

— Quant à Louis XIV, reprit le marquis, je l’excuse, et j’ai des raisons pour cela ; j’excuserais de même mademoiselle de La Vallière si elle avait aimé un autre homme après avoir donné ou cru donner son cœur à Louis XIV.

— Je présume, dit Casimire, que sa mémoire n’a pas besoin de notre indulgence.

— Qui n’a pas besoin d’indulgence ? s’écria le marquis. Écoutez plutôt : mon grand-père, Hector de Courtenay, page de Louis XIV, me racontait un jour, auprès du feu, un trait peu connu de la vie du grand roi. Mademoiselle de La Vallière, puisqu’il s’agit d’elle, était depuis dix ans au couvent, aux Carmélites de la rue Saint-Jacques.

— Dix ans ! interrompit Marine. Au bout de dix jours seulement j’aurais mangé la sœur tourière, la mère abbesse, le parloir et les grilles.

— Tais-toi, Marine ; monsieur le marquis parle…

— Pourquoi n’ai-je pas été cette La Vallière ? moi ! Quand je pense qu’il y a des femmes dont on fait tout ce qu’on veut.

— Tu es bien trop grosse pour cela, ma nourrice, dit le marquis à Marine.

— Déjà que madame de Montespan n’était pas grosse, n’est--