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le dragon rouge.

l’imitât ; on céda à ses prières. Peu de mains restèrent oisives. Les poches se gorgeaient d’or avec une agilité prodigieuse. En un instant l’aiguière fut vide. Alors le marquis, poussant un ressort placé sous le fond de l’aiguière, souleva une corbeille en filigrane d’argent chargée de pierreries, superbe dédommagement offert aux dames qui n’avaient pas prit part à la curée des pièces d’or. Détachée de son piédestal, la corbeille passa de main en main, et chaque belle convive put contenter son désir et son goût. On manqua naturellement d’expressions pour louer la rare magnificence du marquis de Courtenay, arrivé au comble de l’orgueil. Son regard passait alternativement de la contemplation admirative de sa propre personne à Casimire de Canilly ; il prétendait reporter sur elle toute la gloire de cette royale soirée.

On peut se faire une idée du degré d’ivresse auquel s’élevaient les têtes à cette suprême période de souper par l’excès d’enthousiasme qu’inspira Casimire aux jeunes gens. Se souvenant des habitudes de leurs aïeux de deux siècles, beaucoup plus Scythes qu’eux, ils tirèrent leurs poignards et se sillonnèrent les uns la joue, les autres le front. Le sang courut sur plus d’une main et sur plus d’une poitrine. Casimire ne put empêcher ce sanglant hommage qu’on lui adressait. Ce n’était pas trop que de répandre son sang pour elle sur le tapis d’un bal ; qu’elle jugeât par là ce qu’on ferait pour sa beauté dans le champ-clos d’un tournois, s’il y avait encore eu des tournois. Le marquis de Courtenay ne déchira rien. L’habit de Louis XIV voulait être respecté. Qu’il était grotesquement majestueux sous cet habit dont l’ampleur l’inondait ! On eût dit la principauté de Monaco se promenant dans la vaste monarchie de Louis XIV.

Après le souper, les danses reprirent avec plus de feu et d’abandon.

Ce fut dans un intermède que le marquis, prenant Casimire par la main, la présenta lentement aux groupes d’invités ran-