Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/271

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masses et aurait pu les mener loin. Hérode Antipas, sur le territoire duquel Jean avait sa résidence, envoya, dit-on, des gardes pour s’emparer de sa personne et le conduire en prison. Le peu d’authenticité des sources qui rapportent ces faits ne nous permet guère de savoir si sa captivité dura longtemps et s’il vécut assez pour voir un de ses disciples acclamé comme messie. Ce qui est certain, c’est que Jean fut décapité par ordre d’Antipas. Le récit qui nous montre la fille d’Hérodiade apportant à sa mère, sur un plat, la tête sanglante du Baptiste, a un caractère purement légendaire.

Après l’incarcération de Jean, quelques-uns de ses disciples continuèrent son œuvre ; mais nul n’obtint un succès aussi considérable que Jésus de Galilée. Le disciple eut bientôt surpassé le maître.

Jésus (Yêschou, par abréviation de Yêschoua, né l’an 4 avant l’ère chrétienne), natif de Nazareth, petite ville de la basse Galilée, au sud de Sepphoris, était l’aîné des fils d’un obscur charpentier, nommé Joseph, et de sa femme Miriam ou Marie, qui lui donna encore quatre autres fils : Jacques, José, Siméon et Juda, ainsi que plusieurs filles. Joseph, père de Jésus, ou sa mère Marie, descendaient-ils de la race de David ? Cela est fort douteux. Jésus lui même n’a jamais invoqué cette haute origine. Quant à l’histoire de sa jeunesse, elle est complètement inconnue[1].

Sa culture intellectuelle peut être déterminée jusqu’à un certain point par celle du milieu où il a vécu. Éloignés de Jérusalem et du temple, les Galiléens étaient bien Inférieurs aux habitants de la Judée sous le rapport des connaissances générales et de la science de l’écriture sainte. L’échange continuel des idées religieuses et les controverses actives, si favorables en Judée à la diffusion de la Bible et de ses doctrines, faisaient défaut en Galilée. Le pays qui devait posséder plus tard les célèbres écoles d’Ouscha, de Sepphoris, de Tibériade, était, avant la destruction du temple, entièrement dépourvu de centres d’instruction. Mais, par contre, les Galiléens étaient rigides et intraitables sur le chapitre des règles et des coutumes religieuses ; ils ne faisaient pas la moindre concession à cet égard, et telle chose même était, en Judée, déclarée permise, qu’on s’interdisait en Galilée.

  1. Pour apprécier ce que peut y avoir d'historique dans les origines du christianisme, ou dans la vie de Jésus, on ne doit pas perdre de vue que nous n'avons d'autres moyens d'information à cet égard que les Évangiles, lesquels n'ont été rédigés que longtemps après la mort de Jésus. Le prétendu Évangile de Matthieu, probablement aussi Évangile selon les Hébreux, c'est-à-dire selon les judéo-chrétiens, n'ont été écrits qu'après la guerre de Barkochéba, sous Adrien. En effet, le passage Matth., XXIV, sqq., et Marc, XIII, 14 sqq. : Quand vous verrez l'abomination de la désolation établie dans le lien saint, que ceux qui seront en Judée s'enfuient alors vers les montagnes ; fait évidemment allusion à la statue de Jupiter, érigée par Adrien sur l'emplacement du temple de Jérusalem. C'est là ce que la langue apocalyptique appelle l'abomination de la désolation. Ainsi l'entend le Père de l'Église saint-Jérôme : Potest accipi... de Hadriani equestri statua et de Jovis idolo, quæ in ipso sancte sanctorum loco usque in præsentem dicm stant. C'est après la guerre seulement qu'eut lieu cette profanation du lieu saint. Il s'ensuit que l'Évangile de Matthieu n'a pu être composé que postérieurement à l'an 135, partant un siècle après la mort de Jésus. Pour celui de Marc, ce n'est qu'un remaniement du premier évangile à l'usage des païens christianisés ; il est donc encore plus récent. L'Évangile de Luc se donne lui-même pour une compilation da différentes biographies de Jésus et ne peut guère remonter au delà de 150, non plus que les Actes des Apôtres qui s'y rattachent. On y a utilisé l'Évangile de Matthieu ou celui de Marc avec quelques variantes, en remplaçant, par exemple, l'abomination de la désolation par la destruction de Jérusalem (XX, 31). Enfin, le quatrième évangile pourrait bien n'avoir pas pris naissance avant l'an 180. Il renferme fort peu d'éléments historiques, tout s'y fond pour ainsi dire en mysticisme. Aucun de ces documents ne mérite confiance. Pour les logia ou sentences que la tradition attribuait à Jésus, l'Église les a laissées s'oblitérer. Ces sentences, diversement rapportées, ont servi de base aux diverses légendes évangéliques. Or, il n'existe absolument aucune autre source pour l'histoire en question. Ce que nous lisons dans Josèphe (Antiquités, XVIII, 3, 3) relativement à Jésus n'est qu'une grossière interpolation, car Origène, un Père de l'Église, déclare expressément que Josèphe ne fait aucune mention de Jésus. Cette interpolation a dû se faire entre les années 240 et 320 ; peut-être a-t-elle pour auteur Eusèbe, évêque de Césarée, fort expert en supercheries de ce genre. Les récits et sentences conservés dans les évangiles sont inspirés, en général, par un esprit de système et visent tantôt le paulinisme adversaire de la Loi, tantôt au contraire l'ébionitisme qui la respecte : de là leurs contradictions si fréquentes. Ces arrière-pensées des évangiles ont été si bien mises en lumière par David Strauss, par l'école de Tubingen et en partie par M. Renan, qu'il faut s'aveugler volontairement pour ne pas les voir. (Comparez aussi Grætz, Sinaï et Golgotha, p. 400 sqq.). Les seuls récits, les seuls dires de Jésus auxquels on puisse attribuer quelque authenticité sont ceux qui concordent avec l'ébionisme, c'est-à-dire, qui reconnaissent la sainteté et l'autorité absolue de la loi de Moïse. Les autres sont des interpolations émanées des chrétiens paulinistes. Enfin, on peut également tenir pour authentique tout ce qui rappelle l'essénisme. En effet, il est incontestable que Jésus a frayé avec les Esséniens ; c'est un fait que l'auteur de ce livre a le premier mis en évidence, et que Strauss a également adopté.