Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 2.djvu/340

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c’est-à-dire si sa chute n’avait pas été résolue par la Providence.

Dans ce duel de géants, presque unique dans l’histoire, il ne s’agissait pas seulement de liberté comme dans les guerres des Gaulois, des Germains et des Bretons : ici la lutte avait surtout un caractère religieux. La nation judaïque se voyait sans cesse blessée dans ses sentiments religieux par le despotisme de Rome, et ses efforts pour sauver son indépendance visaient surtout à la libre pratique de son culte. Aussi, loin de s’affaiblir par les échecs réitérés, cette passion de la liberté ne fit que s’exalter de jour en jour, et le caractère national devint tellement ombrageux qu’il voyait dans le moindre fait une atteinte portée aux convictions religieuses. Rome, il est vrai, ménageait d’ordinaire la susceptibilité des Judéens, mais elle la blessait à son insu par la rigueur de son administration et par sa surveillance jalouse. En outre, par la séduction de ses arts, elle avait empoisonné la meilleure partie de la nation et l’avait rendue oublieuse de ses devoirs comme de sa foi. Les esprits clairvoyants craignaient à bon droit de voir le mal gagner la nation tout entière.

De fait, dans les familles aristocratiques régnait une corruption profonde, dont l’influence délétère ne pouvait manquer d’atteindre la classe moyenne. Le mauvais exemple partait de haut, de la famille des derniers Hérodiens. Élevés à Rome ou à la cour des princes vassaux de Rome, ils imitaient la dépravation générale. Agrippa II (né en 27, mort en 91 ou 92), fils de cet Agrippa Ier, le dernier bon roi qu’ait eu la Judée, n’avait que dix-sept ans quand mourut son père, et il vivait alors à Rome, dans cette cour où les Messalines et les Agrippines affichaient leurs vices infâmes. Après la mort de son oncle Hérode II, l’empereur Claude lui avait laissé le petit royaume de Chalcis (vers 50). On se murmurait à l’oreille que le dernier descendant des Hasmonéens et des Hérodiens vivait incestueusement avec sa sœur, la belle Bérénice, veuve d’Hérode II. Sans doute, ce bruit devait avoir quelque fondement, puisque Agrippa se vit forcé, pour faire taire les médisances, de fiancer sa sœur à Polémon, roi de Cilicie. Ce dernier, épris de la fortune de Bérénice plus encore que de sa personne, dut embrasser le judaïsme ; mais il la répudia bientôt