Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/272

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Malgré leur goût pour la poésie et la science, malgré la tranquillité dont ils jouissaient, les Juifs d’Italie ne possédaient pas une autorité suffisante pour attirer d’autres coreligionnaires dans ce pays et marcher à la tête du judaïsme. Le centre de l’activité juive demeura en Espagne, quoique Ascheri et ses fils y eussent transplanté cette piété sombre, fanatique et étroite qui affaiblit la force créatrice de l’esprit et enveloppe l’existence comme d’un voile de tristesse. Sous le règne du puissant et habile Alphonse NI, la situation des Juifs de Castille était si satisfaisante, surtout par rapport à celle de leurs frères des autres pays, que cette époque était presque pour eux l’âge d’or. Sous le titre modeste de trésoriers (almoxarifs), des Juifs intelligents dirigeaient alors la politique de la Castille. La haute noblesse employait aussi des conseillers et des fonctionnaires juifs. Au lieu de présenter un extérieur lamentable et de porter le signe d’infamie imposé par l’Église, les Juifs de Castille étaient habillé, de soie et d’or. Ils jouissaient d’une telle considération et d’une telle autorité que bien des Juifs allaient jusqu’à croire que dans la Castille se réalisait de nouveau cette vieille prophétie que jamais le sceptre ne disparaîtra de la tribu de Juda.

Leur satisfaction était toute naturelle, car ces hauts fonctionnaires juifs étaient la sauvegarde de leurs coreligionnaires ; ils les protégeaient contre la cupidité de la petite noblesse, la jalousie du peuple et la malveillance du clergé. Le fait seul qu’il y eût dans l’entourage du souverain des dignitaires juifs, portant l’habit de cour et l’épée de chevalier, suffisait déjà pour inspirer une réserve salutaire aux ennemis des Juifs. On n’osait pas, comme en Allemagne, outrager, vilipender et parfois tuer les Juifs, alors qu’on savait qu’ils avaient des défenseurs puissants auprès du roi. Souvent même on les croyait bien plus influents qu’ils ne l’étaient en réalité. Le clergé lui-même mettait une sourdine à sa haine, tant qu’il trouvait en face de lui les Joseph d’Ecija, les Samuel ibn Wakar et d’autres fonctionnaires juifs.

Mais si, en Castille même, les Juifs étaient relativement heureux, leur situation était bien douloureuse dans les pays voisins. Ainsi, dans l’Aragon, qui formait un royaume indépendant avec Majorque et la Sicile, régnaient alors ces idées d’intolérance et de fanatisme