Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/299

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également sensibles à ses bienfaits et lui sacrifièrent leurs personnes et leurs biens. Ses luttes coûtèrent la vie à beaucoup d’entre eux, mais ils moururent, du moins, en soldats, enveloppés dans la défaite de leur chef, comme ses partisans chrétiens, et ils ne furent pas misérablement égorgés, victimes de la haine et du fanatisme, comme leurs frères de France et d’Allemagne.

Un poète juif, qui était alors un vieillard, Santob de Carrion (vers 1300-1350) adressa à Don Pedro, à son avènement au trône, un poème en castillan, où il se permit de lui donner des conseils. Les vers de ce poète, dont la littérature juive ne fait aucune mention, nous ont été conservés par des auteurs chrétiens. Ils sont clairs et limpides comme une source d’eau vive jaillissant d’un rocher, ils sonnent purs et harmonieux comme le doux gazouillis d’un enfant. Santob de Carrion écrivait admirablement la langue castillane, si sonore et si mélodieuse, qu’il sut même enrichir de mots nouveaux, il développait dans de belles strophes des sentences et des maximes de morale dont quelques-unes sont empruntées au Talmud et à la poésie néo-hébraïque.

Le bouquet poétique de Santob avait aussi des piquants. Notre poète fustigea de sa verve ceux de ses coreligionnaires qui avaient profité de la faveur royale pour s’enrichir, et il railla les préjugés que les hidalgos nourrissaient à l’égard des Juifs. Même dans les stances qu’il adressa à Don Pedro au nombre de plus de six cents, il ne craignit pas de faire entendre au roi de dures vérités et de lui montrer le vice sous ses formes les plus hideuses.

Parmi les Juifs auxquels Don Pedro confia des emplois élevés, le plus considérable fut Don Samuel ben Meïr Allavi, de la famille distinguée d’Aboulafia Hallévi, de Tolède. Il avait été recommandé au roi par son précepteur et ministre tout-puissant Don Juan Alphonse d’Albuquerque ; Don Pedro le nomma son trésorier. Peu à peu, Samuel gagna toute la confiance du roi, devint son conseiller intime et fut consulté pour toutes les affaires importantes. Deux inscriptions, rédigées l’une de son vivant et l’autre après sa mort, représentent Samuel comme un homme de sentiments généreux, de caractère élevé, d’une piété sincère, qui ne s’écarta jamais des voies de Dieu, savait accepter le blâme, et prodigua ses bienfaits.