Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/307

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Mais si Henri de Transtamare pardonnait aux Juifs la part qu’ils avaient prise à la guerre, les nobles et les bourgeois n’oubliaient pas qu’ils avaient eu à les combattre sur les champs de bataille et derrière les murs des forteresses. Aveuglés par la haine et le désir de la vengeance, ils ne savaient pas reconnaître quel utile concours les Juifs pouvaient apporter au relèvement du pays. Dès la première réunion des cortès de Toro (1371), des sentiments de malveillance se manifestèrent à l’égard des Juifs. On se plaignait que cette race impudente et perverse, ennemie de Dieu et de la chrétienté, occupât des situations élevées à la cour et auprès des grands d’Espagne, eût la ferme des impôts et tint ainsi de fidèles chrétiens dans sa dépendance. On voulait que dorénavant les Juifs fussent tenus éloignés de tout emploi public, confinés dans des quartiers spéciaux, obligés de porter la rouelle, et qu’il leur fût défendu de sortir couverts de vêtements somptueux, de chevaucher sur des mules ou de prendre des noms chrétiens.

Tout en n’approuvant pas ces réclamations, Henri était quand même obligé d’en tenir compte dans une certaine mesure. Il promulgua contre les Juifs deux édits, de nature morale, il est vrai, mais qui produisirent sur eux une douloureuse impression. Il leur prescrivit le port de la rouelle et les obligea à changer leurs noms castillans. C’était là un coup terrible porté à leur fierté castillane, qu’ils partageaient avec les grands et les hidalgos. Pendant un siècle et demi, ils avaient su se préserver, seuls au milieu de leurs coreligionnaires d’Europe, de la honte d’attacher le signe d’infamie à leurs vêtements, et maintenant eux aussi étaient condamnés à cette humiliante obligation, eux aussi étaient contraints de porter des noms juifs, qui les désigneraient au mépris de la population ! Ils en étaient désespérés. Déjà les souffrances de la guerre, en leur imposant toute sorte de préoccupations matérielles, avaient diminué chez eux le désir de s’instruire. Après cette nouvelle épreuve, ils perdirent complètement courage, renoncèrent à toute étude, à toute recherche scientifique, et bientôt l’Espagne juive, qui était arrivée à un si haut degré de culture, ne compta plus que quelques demi savants.

Pourtant, à ce moment, il aurait fallu en Espagne des Juifs instruits et Intelligents, capables de défendre leur religion. Car