Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/336

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d’une façon si pitoyable que les écrivains juifs eurent honte d’en parler longuement.

Du reste, les événements d’Espagne donnaient le plus cruel démenti à ces annonces de prochaine délivrance. La population juive avait déjà pour adversaires, dans ce pays, les bourgeois et les nobles, jaloux de son bien-être, les ecclésiastiques, désireux de faire montre de zèle religieux, les renégats, qui espéraient faire croire à la sincérité de leur conversion en manifestant leur haine pour leurs anciens coreligionnaires. À tous ces ennemis vinrent se joindre, au commencement du XVe siècle, trois autres persécuteurs, un Juif baptisé, un moine dominicain et un pape, qui firent aux Juifs le plus grand mal. Ces trois nouveaux adversaires, Josua Lorqui, Fray Vincent Ferrer et Pedro de Luna, connu comme antipape sous le nom de Benoît XIII, firent verser des larmes de sang aux malheureux Juifs d’Espagne.

Josua Lorqui d’Alcañiz, qui, après son abjuration, prit le nom de Jérôme de Santa-Fé et fut attaché comme médecin à la personne du pape d’Avignon, Benoît XIII, n’épargna rien, à l’exemple de Paul de Santa-Maria, pour rendre suspects ses anciens coreligionnaires ou les attirer au christianisme. Vincent Ferrer, canonisé par l’Église, était un de ces moines ascétiques pour qui la terre est et doit être une vallée de pleurs. Par l’austérité de ses mœurs, son mépris pour les richesses et son humilité, il formait un contraste saisissant avec le clergé régulier et séculier de son époque. Comme il voyait régner dans la chrétienté, parmi les laïques comme parmi les ecclésiastiques, un certain relâchement dans les mœurs et de la tiédeur dans la foi, il pensait que la fin du monde était proche et qu’il ne restait qu’un seul moyen de saurer l’humanité : c’était de convertir tous les hommes sans exception au christianisme, et de leur faire mener à tous une vie de mortifications. Accompagné d’une troupe de fanatiques, il traversait les divers pays, se flagellant tout nu en pleine rue et excitant la foule à l’imiter. Plein de fougue, éloquent et doué d’une voix sympathique et vibrante, il savait remuer les masses. Qu’il racontât en sanglotant la Passion de Jésus ou qu’il annonçât la destruction prochaine de l’univers, il arrachait des larmes à tous les assistants et exerçait sur leur volonté une domination