Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/405

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pour y entretenir un bûcher en permanence. Cette place reçut le nom de Quemadero (fournaise). Ornée de quatre monstrueuses statues de prophètes, elle s’est conservée jusqu’à nos jours, à la honte de l’Espagne et de la chrétienté. Que d’innocentes victimes y furent livrées aux flammes pendant trois siècles !

Avec des paroles mielleuses, qui, sous leur apparente douceur, cachaient la plus méchante hypocrisie, Miguel Morillo et ses collègues engagèrent les Marranes coupables d’avoir judaïsé à se présenter spontanément devant le tribunal, dans un délai donné, et à faire sincèrement pénitence de leur faute ; ils auraient alors l’absolution et conserveraient leurs biens. C’était là l’édit de grâce. Mais à ceux qui laisseraient passer ce délai sans se dénoncer eux-mêmes, ou qui seraient dénoncés par d’autres comme relaps, on appliquerait dans toute sa rigueur le châtiment réservé aux hérétiques par le droit canon. Bien des Marranes, naïvement confiants dans les promesses des inquisiteurs, allèrent tout contrits leur avouer qu’ils étaient restés secrètement attachés à leur ancienne religion. Mais avant de leur accorder leur pardon, le tribunal exigea que chacun d’eux signalât par leur nom, leur état, leur demeure et d’autres renseignements, les relaps dont il avait connaissance, et qu’il fit ses déclarations sous la foi du serment. C’était les contraindre, au nom de la religion, à se faire délateurs et traîtres ; l’ami devait dénoncer son ami, le frère son frère, le fils son père. Avec de tels procédés, le tribunal était sûr de pouvoir toujours dresser des listes d’hérétiques et alimenter les bûchers.

Après les Marranes, tous les chrétiens espagnols, sans exception, furent invités par les inquisiteurs, sous peine d’excommunication, â leur désigner les hérétiques judaïsants qu’ils connaîtraient. Le tribunal faisait ainsi appel aux plus mauvaises passions pour trouver des collaborateurs zélés. La méchanceté, la haine, les vengeances particulières pouvaient facilement se satisfaire grâce à ce système de délations ; les gens cupides dénonçaient pour acquérir des richesses, et les dévots fanatiques pour acquérir leur salut. Pour faciliter ces dénonciations, l’Inquisition énuméra les faits qui constituaient le crime d’hérésie ou d’apostasie. Un Juif converti devenait relaps s’il se permettait de célébrer le sabbat ou un autre jour de fête juive, de circoncire ses enfants, d’observer