Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/418

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Abrabanel décrit lui-même l’existence heureuse qu’il menait en Portugal. Je vivais tranquille, dit-il, dans la maison que j’avais eue eu héritage, dans la belle ville de Lisbonne, où Dieu me combla de ses bénédictions en me rendant riche et honoré. Je disposais de vastes bâtiments et avais arrangé des salles spacieuses. Ma maison était devenue le rendez-vous de sages et de savants. On m’aimait à la cour d’Alphonse, souverain puissant et juste, sous le règne duquel les Juifs étaient libres et heureux. Il m’honorait de son estime, faisait souvent appel à mes services, et, tant qu’il vécut, je fus un des familiers du palais.

Ce furent les derniers beaux jours des Juifs du Portugal. On codifia bien, sous Alphonse V, pour les appliquer plus facilement, les diverses lois portugaises, qui comprenaient aussi des ordonnances hostiles aux Juifs, d’origine byzantine et wisigothe. Mais le roi, encore mineur au moment où ce recueil fut achevé, n’avait pris aucune part à ce travail, et, de plus, il ne mit en vigueur aucun de ces édits restrictifs. Sous son règne, les Juifs ne portaient aucun signe distinctif en Portugal. Comme les chrétiens, ils sortaient en pourpoint de soie, la dague dorée au côté, montés sur des chevaux ou des mulets magnifiquement harnachés. La plupart des fermiers d’impôts étaient Juifs. Même des dignitaires de l’Église, à en croire les plaintes formulées à ce sujet par les cortès de Lisbonne, chargeaient des Juifs de recueillir les taxes ecclésiastiques. L’organisation autonome des communautés juives, sous la direction d’un grand-rabbin et de sept rabbins provinciaux, fut maintenue par Alphonse V et décrite dans le recueil des lois. On inscrivit également dans ce code que les Juifs ne seraient plus’ obligés d’écrire leurs documents spéciaux exclusivement en portugais, comme ils devaient le faire jusqu’alors, mais pourraient aussi les rédiger en hébreu.

À la cour d’Alphonse V, il y eut encore, à côté d’Abrabanel, deux autres favoris juifs, les frères ibn Yahya Negro, fils d’un certain Don David. On rapporte qu’avant de mourir, ce Don David aurait recommandé à ses enfants de transformer la succession qu’il leur laissait en valeurs mobilières, parce que les Juifs du Portugal étaient menacés d’une expulsion prochaine.

À ce moment, un tel événement paraissait encore lointain.