Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/63

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courage, il rappelait les nombreuses migrations des patriarches, et il fit ses adieux à l’Espagne dans cette apostrophe véhémente :

Malédiction sur toi, pays de mes ennemis !
Mon sort ne sera plus jamais mêlé à ta destinée.
Je ne m’intéresse plus ni à ta prospérité ni à tes peines.

Cependant, il n’exécuta pas son projet. Il erra çà et là en Espagne, déplorant, dans de plaintives élégies, les trahisons de la destinée et l’inconstance de ses amis, et gémissant sur ses malheurs, réels ou imaginaires. À la fin, il semble avoir trouvé un refuge auprès du bienfaiteur des Juifs d’Espagne, le prince Samuel ibn Nagrela, et, sous la protection de cet homme d’État, il s’adonna avec, une nouvelle ardeur à ses spéculations philosophiques.

On a vu plus haut que, jeune encore, Ibn Gabirol avait déjà examiné les problèmes les plus élevés qui préoccupent la raison humaine. Quand il eut retrouvé sa liberté d’esprit, il reprit l’étude de ces questions difficiles. Le devoir, la substance et l’origine de l’âme, la vie future, Dieu et son essence, la création, tels étaient les sujets habituels de ses méditations. Il les traita en partie dans un poème écrit sous forme de prière et appelé Kéter Malkout, qui est d’une élévation de pensée et d’une vigueur d’expression incomparables. Sans doute, les idées d’Ibn Gabirol ne sont pas nouvelles, elles ont déjà été exprimées longtemps avant lui. Mais il eut le mérite de coordonner des idées éparses et de les réunir en un tout systématique, qu’il exposa dans un ouvrage écrit en hébreu et intitulé Mequor Hayyim, Fons Vitæ Source de la Vie. La philosophie, chassée autrefois d’Athènes par un empereur romain et, depuis, dédaignée ou du moins restée inconnue en Europe, avait dû chercher un refuge en Asie. Ce fut Ibn Gabirol, le penseur juif, qui le premier la transporta de nouveau en Europe ; il lui éleva un autel en Espagne.

À la fois poète et philosophe comme Platon, Ibn Gabirol, à l’exemple de son illustre devancier, exposa ses idées dans des dialogues. Il développa son système dans un entretien animé entre un maître et son élève, et il évita ainsi la sécheresse et l’aridité inhérentes à l’examen de questions métaphysiques.