Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/94

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dans un harem dont le maître, avec une mine de berbère, le menace de mort. Ô bonheur ! sous ce masque terrible se cachait une femme d’une beauté éblouissante, l’esclave de celle qui était la reine de ses pensées et qui lui promet que tous ses désirs seront réalisés. Il retrouve enfin l’objet de sa passion, et déjà il se croit au comble de ses vœux quand il s’aperçoit que du commencement à la fin il a été mystifié par ses amis. Telle est l’œuvre de Ben Sakbel. En elle-même, elle n’a aucune valeur poétique ; c’est une simple imitation de l’arabe. Mais il est intéressant de voir avec quelle habileté Ben Sakbel manie l’hébreu et expose dans cette langue si grave de simples futilités.

À cette époque vivaient également à Grenade les quatre frères Ibn Ezra : c’étaient Abou-Ibrakim Isaac, l’aîné ; Abou-Haroun Moïse, Abou-l-Hassan Juda et Abou Hadjadj Joseph, le plus jeune, savants distingués et d’illustre naissance. On reconnaît, dit un contemporain, à la noblesse de leurs sentiments, qu’ils descendent de la famille royale de David. Leur père, nommé Jacob, avait occupé un emploi sous le roi Habous ou plutôt sous Samuel ibn Nagrela. Le plus remarquable des quatre fut Abou-Haroun Moïse (né vers 1070 et mort vers 1139). Il fut le poète le plus fécond de son temps. C’est le chagrin qui semble avoir éveillé en lui l’inspiration poétique. Amoureux de sa nièce, dont il était également aimé, il se vit refuser sa main. Dans sa douleur, il abandonna la maison paternelle, errant à travers le Portugal et la Castille. Comme le temps était impuissant à adoucir sa souffrance, il demanda des consolations à la science et surtout à la poésie. Il rencontra des amis dévoués et des admirateurs sincères, et Ibn Kamnial, le noble bienfaiteur de ses coreligionnaires, lui voua une vive affection.

Moïse ibn Ezra avait de nombreux traits de ressemblance avec Salomon ibn Gabirol. Comme ce dernier, il se plaignait amèrement de l’envie et de la trahison de ses contemporains, et s’occupait principalement, dans ses œuvres, de sa propre personnalité, de son moi. Mais il était moins sensible, moins susceptible et aussi moins sombre que le poète de Malaga ; sa nature plus énergique lui permettait de sortir parfois de sa tristesse pour faire entendre des accents plus gais. Sa Muse aimait quelquefois le badinage.