Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 4.djvu/97

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Moïse ibn Ezra s’était condamné volontairement à l’exil, il lui adressa des consolations dans des vers remarquables d’émotion et de bon sens.

Malgré son humeur toujours sereine, il ressentit aussi les joies et les douleurs de l’amour. Il chante les yeux de sa gazelle, de sa bien-aimée, ses lèvres de pourpre, ses cheveux noirs comme le corbeau, et il reproche à l’infidèle sa trahison. Ses chants d’amour respirent le feu de la jeunesse et de la passion et sont animés d’un souffle vraiment éloquent, ils témoignent d’une richesse d’imagination et d’une connaissance de l’art poétique qu’on est étonné de rencontrer à un si haut degré chez un jeune homme.

Outre son talent poétique, Juda Hallévi avait des connaissances philosophiques et était versé dans les sciences naturelles ; il écrivait l’arabe avec élégance et était très familiarisé avec la poésie castillane. Il demandait ses moyens de subsistance à la pratique de la médecine, qu’il exerçait avec succès. Quoiqu’il fût appelé par sa profession à vivre souvent au milieu des malades et des mourants, son âme sut toujours planer au-dessus des misères de la vie, dans les régions de l’idéal. Il écrivit à un ami la lettre suivante au sujet de ses occupations. Même aux heures qui n’appartiennent ni au jour ni à la nuit, je me consacre au vain art de la médecine, bien que je sois incapable de guérir. La ville où je demeure est grande, les habitants en sont des géants, mais des gens très durs. Je ne puis leur donner satisfaction qu’en gaspillant mes jours à guérir leurs infirmités. J’essaie de rendre la santé à Babel, mais elle reste malade. Puisse Dieu m’envoyer bientôt la délivrance et m’accorder le repos, alla que je puisse aller dans une ville où fleurit la science et m’y désaltérer à la source de la sagesse.

Juda Hallévi avait une idée plus juste de la poésie que ses contemporains arabes et juifs, il la considérait comme un présent du ciel, un don divin, et non comme un résultat de l’art. Aussi raille-t-il ceux qui établissent des règles de prosodie. Selon lui, le vrai poète devine instinctivement les lois de la poésie. Dans sa jeunesse, il prodigua les trésors de son imagination féconde en productions légères, en badinages, il écrivit, selon l’usage du temps, des kassides pleines d’éloges exagérés pour ses nombreux amis. Il