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Page:Grande Encyclopédie III.djvu/967

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ARISTOPHANE
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tandis que les marchands de faux se réjouissent et qu’un beau chant d’hyménée célèbre l’union de Trygée avec l’Automne, déesse des vendanges. La représentation de la Paix ne fut pas, semble-t-il, sans influence sur les événements qui suivirent, car, peu de temps après, Athènes et Sparte concluaient ensemble la trêve de cinquante ans connue sous le nom de Paix de Nicias (avr. 421). Dès lors, le théâtre d’Aristophane change de caractère. La politique y tient moins de place ; la critique littéraire et les questions sociales y occupent le premier rang.

Il convient pourtant de faire une exception pour Lysistrata (411), brillante fantaisie dans laquelle le poète se fait de nouveau l’interprète des amis de la paix (les hostilités avaient recommencé en 418) : il imagine une ligue de toutes les femmes grecques, retranchées sur l’Acropole sous le commandement de l’Athénienne Lysistrata, et décidées à ne réintégrer le domicile conjugal que le jour où leurs maris auront mis bas les armes. On devine aisément l’issue de cette grève d’un nouveau genre. A part cette comédie, toutes les pièces d’Aristophane postérieures à 421 et qui nous sont parvenues, se tiennent en général assez éloignées des préoccupations immédiates du jour. Les Oiseaux, représentés aux Dionysies urbaines de l’année 414, sont une mordante et spirituelle satire de la société contemporaine. Deux Athéniens, Evelpide et Pisthétæros, fatigués de vivre au milieu des procès, ont décidé de quitter leur patrie. Ils gagnent, non sans peine, la sauvage région qu’habitent les oiseaux et là, avec l’aide de la gent ailée, ils fondent une ville entre ciel et terre, Néphélococcygie, la cité des Nuages et des Coucous. Les importuns ne tardent pas à y arriver : c’est un poète, un devin, un géomètre, un marchand de décrets, qui tous viennent offrir leurs services et que Pisthétæros éconduit. Cependant la ville naissante, bâtie au milieu des nuages, intercepte la fumée des victimes qu’on sacrifie sur la terre en l’honneur des immortels, et les habitants de l’Olympe souffrent cruellement de la faim. Une députation vient, au nom de Jupiter, proposer aux citoyens de la jeune république un accommodement : à une condition, répond Pisthétæros, c’est que les dieux rendront le sceptre aux oiseaux. Les députés consentent et la pièce se termine par le mariage de Pisthétæros avec la Royauté. Les Femmes aux Thesmophories (411) et les Grenouilles (405) sont deux comédies dirigées contre Euripide. Dans la première, le poète représente les femmes athéniennes, célébrant la féte des Thesmophories en l’honneur de Cérès et de sa fille Proserpine. Elles profitent de ce que toutes se trouvent réunies, selon l’usage, dans le Thesmophorion pour délibérer sur le châtiment qu’il convient d’infliger à Euripide, en récompense des calomnies qu’il a répandues contre elles. Euripide, averti, fait déguiser en femme son beau-père Mnésiloque et le charge d’aller plaider sa cause au Thesmophorion. Mais Mnésiloque est découvert et gardé à vue. Euripide essaie de le délivrer et y parvient, non sans mal. Toutes ces scènes, fort habilement conduites, sont pour Aristophane autant d’occasions d’attaquer la poésie du grand tragique et de jeter le ridicule sur les innovations qui distinguaient son théâtre. Les critiques sont plus vives encore dans les Grenouilles. Bacchus, le dieu qui préside aux représentations dramatiques, las des mauvaises pièces qu’on joue en son honneur, a formé le projet de descendre aux enfers, pour en ramener son poète favori, Euripide, mort depuis peu. Il trouve Euripide en querelle avec Eschyle, à qui il dispute la préséance. Pluton, pour mettre un terme au débat, institue entre les deux rivaux un concours dont il fait juge Bacchus. Chacun des concurrents, vantant sa poésie, critique vivement celle de son adversaire. Bacchus prend parti tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre, jusqu’au moment où, se prononçant enfin, il déclare Eschyle vainqueur et le ramène sur la terre. L’Assemblée des femmes (392) et le Plutus (388) ont une portée plus haute. La première de ces deux pièces


est une satire de certaines utopies qui avaient cours alors et dont on retrouve quelques-unes sérieusement exposées dans la République de Platon (particulièrement dans le livre V). Le poète porte à la scène la grave question de la communauté des biens, dont il tire les effets les plus comiques et les plus inattendus. Quant au Plutus, c’est une sorte d’allégorie relative à l’injuste répartition des richesses, un drame tout philosophique appartenant au genre mixte et assez mal défini auquel on a donné le nom de Comédie Moyenne. — Telles sont les comédies d’Aristophane qui nous ont été conservées. Il en avait écrit beaucoup d’autres. On lui en attribuait 44, dont 4 étaient déjà considérées comme apocryphes par les anciens. De ces 44 pièces, 11 seulement nous restent : ce sont celles que nous venons d’analyser brièvement, depuis


Buste d’Aristophane.

les Acharniens jusqu’au Plutus inclusivement. À ces comédies demeurées intactes à travers les siècles, il faut ajouter plus de 700 fragments. La vie privée d’Aristophane nous est fort mal connue. Nous savons pourtant qu’il se maria et qu’il eut trois fils, Philippe, Ararôs et Nicostratos (appelé Philétæros par Suidas). Tous trois écrivirent, sans grand succès, à ce qu’il semble, pour le théâtre. Sur la fortune du poète, sur l’aisance dont il pouvait jouir, nous ne sommes pas mieux renseignés. Quelques vers de la parabase des Acharniens paraissent faire allusion à un domaine qu’il aurait possédé dans l’lle d’Egine. D’après deux vers d’une comédie dont le titre nous est inconnu, ses biographes supposent qu’il avait pour sa femme et pour ses deux fils Philippe et Ararôs des sentiments assez tièdes. Rien ne justifie cette hypothèse. Il semble, au contraire, qu’Aristophane se soit toujours montré pour ses enfants d’une paternelle sollicitude. Vers la fin de sa vie, on le voit présenter au public, comme son élève et son successeur, son fils Ararôs : c’est sous le nom d’Ararôs qu’il fit jouer les deux dernières pièces, aujourd’hui perdues, qu’il parait avoir composées, l’Æolosicon et le Cocalos. Platon, dans son Banquet, a tracé d’Aristophane un portrait demeuré célèbre. Il le représente comme un convive aimable, comme un causeur plein de verve et d’esprit. Nous ne savons rien de l’extérieur du poète, si ce n’est que, jeune encore, il était chauve : lui-même le laisse entendre dans un passage de la Paix. C’est cette particu-