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Page:Grande Encyclopédie III.djvu/987

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ARISTOTE
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maître restent du moins très vivantes et fécondes dans des pliilosophies qui ne procèdent pas de lui, mais qui lui doivent en grande partie leur étendue et leur profondeur. Le principe des stoïciens, intermédiaire entre la puissance et l’acte, caractérisé par la tension, immanent à toutes choses, intelligent et cause finale suprême, parait bien n’être que la yiaiq d’Aristote, dans laquelle on absorberait le voC ;. Par sa distinction précise du mécanisme et de la finalité, de l’ordre physique et de l’ordre métaphysique des choses, du hasard et de l’action intelligente, Aristote a rendu possible l’épicurisme, lequel semble s’être constitué en grande partie avec les doctrines qu’Aristote définissait ou créait pour les réfuter. Le néoplatonisme lui-même, dans sa doctrine du vouç, doit beaucoup à Aristote. Les néoplatoniciens s’efforçaient de concilier Platon et Aristote ; et Plotin soutenait que sa doctrine de l’un transcendant d’où émane le vou ; était la conséquence nécessaire de la doctrine aristotélicienne. — Après avoir soutenu jusqu’à ses derniers moments la philosophie antique, l’aristotélisme, en s’incarnant dans les croyances du moyen âge, les transforma en doctrines philosophiques. Ce fut principalement sous l’influence d’Aristote que se développa, dans cette période de mysticisme religieux, l’esprit de logique et de spéculation rationnelle. Les écrits d’Aristote ne pénétrèrent que tardivement et indirectement dans le monde occidental. Jusque vers le milieu du xu e siècle, on ne connut que de faibles parties de VOrganon, savoir les Catégories etVHermeneia, dans la traduction latine de Boôce. C’était, avecrEîaayarpi de Porphyre et le Timée de Platon, à peu près tout ce qu’on possédait de l’antiquité philosophique. De 1130 à 1210 environ parurent les autres ouvrages d’Aristote sous forme de version latine de traductions arabes, faites elles-mêmes au ix e siècle par des Syriens chrétiens, d’après des traductions syriaques. Peu après (xin° siècle), le texte grec lui-même fut communiqué aux savants de l’Occident, notamment par des Grecs de Constantinople ; et la traduction immédiate en latin se substitua aux traductions indirectes. Robert Greathead, Albert le Grand et saint Thomas travaillèrent particulièrement à cette épuration de la traduction latine. Chose étrange et qui montre combien l’intelligence de l’homme est à la merci de sa volonté, les esprits les plus divers trouvèrent dans Aristote un point d’appui rationnel pour leurs croyances et leurs aspirations. Rien de plus un en apparence que le moyen âge, puisque tout le monde s’y réclame d’Aristote, mais il y a autant d’Aristotes que de philosophes. Il y a même des Aristotes qui n’ont plus que le nom de commun avec le Stagirite. C’est de YOrganon aristotélicien qu’est née la fameuse querelle des universaux qui dure du ix e siècle à la fin du xi e. En même temps se développent chez les Arabes et chez les Juifs, en possession de tous les écrits du maître, des systèmes complets de philosophie aristotélicienne. Les Arabes, monothéistes et naturalistes, sont séduits par la doctrine d’Aristote sur Dieu et par ses recherches en histoire naturelle. Averroès, de Cordoue (1126-1)8), se croit pur aristotélicien quand il soutient que l’Entendement actif est une émanation de Dieu, qu’il est un pour tous les hommes et seul immortel. Le juif Moïse Maïmonide, de Cordoue (1135-1204), concilie sans difficulté avec l’aristotélisme la création de la matière et les miracles. L’époque la plus brillante de la scolastique chrétienne est en même temps celle de l’apogée de l’autorité d’Aristote. Après s’être défié un moment de ses doctrines physiques, où l’on a cru voir professée l’éternité du monde et du temps, on prend, dès 1230 environ, l’ensemble des écrits d’Aristote pour texte des leçons de philosophie. Aristote est l’expression de la lumière naturelle, comme les vérités de foi sont l’expression de la lumière surnaturelle. La raison n’embrasse pas la foi, mais elle y conduit. Aristote, représentant de la raison, est le précurseur du Christ dans les choses de la nature comme saint Jean-Baptiste est son précurseur dans les choses de la grâce. Et l’aristotélisme, ainsi défini, circonscrit et subordonné, devient l’origine de ce qu’on a appelé dans la suite le déisme et la religion naturelle. A cette époque, on y trouve tout ce qu’exige la théologie. Il ne peut démontrer la vérité des dogmes, mais, à leur égard, il réfute les objections et présente des raisons vraisemblables. Il fournit, en particulier, une théorie de la forme substantielle comme distincte de la matière et des formes accidentelles, qui rend concevable la transsubstantiation sous la permanence des espèces sensibles dans l’Eucharistie. Si l’aristotélisme assure l’orthodoxie, il n’est pas moins propice aux dissidents. Amaury de Chartres et David de Dinant (xu e et xui ô siècles) tirent du côté du panthéisme, en identifiant Dieu, l’un avec la forme, l’autre avec le matière universelle. Et les mystiques allemands, comme Théodoric de Fribourg (xiii 9 et xiv e siècles) et maître Eckhart (xiu 9 et xiv e siècles), présentent leur doctrine de l’union substantielle de l’âme avec la divinité comme le développement de la théorie aristotélicienne du vou ; noir^t/o’;. Enfin, Aristote, au moyen âge, n’est pas seulement le maître des philosophes : sous son patronage se mettent également ceux qui, à l’encontre de l’Eglise et de la philosophie d’alors, prétendent surprendre et enchainer les forces mystérieuses de la nature. Pour ces réprouvés, Aristote est un magicien. On lui attribue des traités d’Alchimie sur la philosophie occulte des Egyptiens. On le met, avec Platon, en tête de la liste des alchimistes œcuméniques. Les alchimistes se nomment les nouveaux commentateurs de Platon et d’Aristote. Ainsi, Aristote, au moyen âge, est partout un excitateur des esprits et une autorité ; mais son œuvre la plus considérable est sans contredit la constitution de cette philosophie chrétienne si complète, si précise, si logique, si fortement établie dans ses moindres détails, qu’elle semblait créée pour l’éternité. Elle a fait loi dans les collèges de l’Université en France jusqu’au xvm 9 siècle. En 1624, la Sorbonne défendait à peine de vie de rien enseigner contre les anciens. En 1671, les professeurs sont encore invités à respecter le péripatétisme sous peine d’exclusion. Au commencement du xvm e siècle, l’aristotélisme scolastique cède la place aux idées nouvelles. — Ce n’est pas de la raison qu’est venue la première attaque vraiment meurtrière, c’est de la foi. Luther non seulement remarqua les différences importantes qui séparaient la philosophie aristotélicienne du christianisme, mais surtout il jugea impie de chercher un accord entre la foi donnée par Dieu et la raison corrompue par le péché. Œuvre de l’homme, la philosophie aristotélicienne, avec sa prétention à traiter des choses divines, ne pouvait être qu’erreur et sacrilège ; à se concilier avec elle, la religion ne pouvait que s’altérer et se dénaturer. Aristote était un maître d’hérésies : le salut de la religion était dans l’absolue extinction de ses doctrines.

— Combattu au nom de la religion, l’aristotélisme, malgré la brillante restauration qu’il dut à des érudits de la Renaissance, tels que Pomponace, Scaliger, Vanini, Gennade, ( îeorges de Trébizonde, ne tarda pas à être également battu en brèche au nom de la science et delà philosophie. Bacon ne vit dans la méthode aristotélicienne que la déduction prenant son point de départ dans l’opinion et dans le langage ; et dans la métaphysique aristotélicienne, il ne vit que la prétention d’expliquer les choses, non par des causes mécaniques, mais par des actions surnaturelles et divines. 11 condamna donc la philosophie d’Aristote comme contraire aux conditions de la science, laquelle cherche des explications mécaniques et procède par induction. Pour Descartes, l’aristotélisme fut la doctrine qui réalisait les qualités sensibles, et qui expliquait les phénomènes par ces entités chimériques. Idées obscures et stériles, ces abstractions ne pouvaient être les principes des choses. Au rebours d’Aristote, Descartes ramène la qualité à la quantité et non la quantité à la qualité. — Il semblait que la doctrine aristotélicienne eût définitivement vécu, lorsque Leibnitz la fit rentrer triomphalement dans la philosophie, en déclarant qu’il y avait dans la théorie des formes substantielles et de l’entéléchie, bien comprise, plus de vérité que dans toute la