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COMME LE FRUIT DÉFENDU.

heures qu’il venait de passer dans son cabinet, applaudissant mentalement les sons de sa charmante voix.

— Vous sortez ? lui dit-elle dès qu’elle le vit.

— Oui, ma chère Juliette, j’essaie aujourd’hui le cheval que m’a vendu sir John A. Je vais au Bois, mais avec ennui, avec tristesse ; l’idée d’être seul à la promenade gâte d’avance tout le plaisir que je pourrais avoir.

— Si je vous accompagnais ?

— Y pensez-vous ? Et le médecin ?

— Il n’en saura rien, il visite ses malades en ce moment et nous ne le rencontrerons certainement pas au bois de Boulogne.

— Non, ce serait compromettre votre santé, je ne consentirai jamais…

— Vous voulez donc que je meure de tristesse et de dépit. Autant vaut, ce me semble, mourir en me divertissant. D’ailleurs, le docteur m’a défendu de galoper, et je vous promets d’aller si doucement, si doucement, que je ne serai certainement pas plus fatiguée que si je restais dans mon fauteuil.

M. de G. se laissa vaincre, et fit seller la jument Thecla que la comtesse montait ordinairement. À peine avait-elle fait quelques pas, que sa figure depuis longtemps froide et attristée rayonnait de plaisir. Son mari lui avait recommandé de n’aller qu’au petit pas ; mais dès qu’elle fut dans l’avenue de Neuilly, elle se mit à galoper si bien que le comte avait peine à la suivre.

En rentrant, elle était animée, joyeuse ; son front était couvert de ces teintes de la santé qu’un exercice salutaire ramène sur les visages les plus pâles.