Page:Grenier - Œuvres, t. 1, 1895.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

148 PETITS POEMES


Ainsi, de mes pensers suivant le cours fatal,

Mon esprit, absorbé par des craintes sans nombre,

Me reportait si bien vers le pays natal


Que je ne voyais pas que la forêt plus sombre

Dérobait le chemin à mes pieds déjà las.

Et que le crépuscule avait fait place à l’ombre.


Et je marchais toujours en rêvant, le front bas,

Quand je vis tout à coup dans la feuillée obscure

Une Ombre se dresser au-devant de mes pas.


Mon cœur la reconnut. Cette grande figure

Dont l’œil profond brillait d’un feu surnaturel,

C’était Alighieri, ses traits et sa stature.


Tel que Giotto l’a peint au mur du Barigel,

Tenant entre ses mains une fleur par la tige,

Jeune et brillant déjà d’un éclat immortel.


« O souverain poète ! est-ce bien vous, lui dis-je.

Qui revenez encore au lieu de votre exil ?

Ou de mes sens émus n’êtes-vous qu’un prestige ?


« Parlez ! que votre voix par un conseil viril

Légitime ou dissipe à jamais ma tristesse. »

Alors le grand proscrit : « Mon enfant, me dit-il