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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/142

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mes mémoires

forme de raquette à la main. Il n’y a qu’à guetter les pierres rondes recouvertes de goémons. Vite, sous les goémons, un tour de filet ; et il en ressort, rempli, tout grouillant, de petites chenilles grises : chenilles de la mer. Rougies dans l’eau bouillante, elles nous donneront des crevettes tant recherchées. J’ajoute à ces distractions mes visites à M. Pierre des Jars de Kéranroué, petit seigneur des environs. Ce bon géant, zouave en sa jeunesse, a connu nos zouaves canadiens à Rome ; il a même été comme il dit, « instructeur du convoi commandé par Taillefer ». On aborde à son manoir de Pancréch par une longue allée de thuyas canadiens plantés là en souvenir de ses anciens compagnons d’armes. Dans Notre maître, le passé (I), j’ai dit l’adieu dramatique que me laissa M. de Kéranroué, avant ma rentrée à Paris. J’ai dit aussi avec quelle émotion j’avais retrouvé, au pays breton, cette page d’histoire canadienne. Mes promenades me conduisent parfois dans une autre direction, à Port-Blanc, à un kilomètre environ de Crec’h Bleiz. C’est là qu’habite, pendant la saison d’été, en pleine solitude, nid d’aigle qui domine de haut le paysage de la mer, le chantre breton, Théodore Botrel. Il s’y est bâti une maisonnette typique, pittoresque, maisonnette de pierre, avec appentis couvert de chaume et qu’il a baptisée : Ti-Chansonniou. Venu au Canada quelques années à peine avant 1908, Botrel, beau chanteur, a été reçu comme un prince à Montréal et ailleurs. Ses chansons ont conquis les Canadiens. Nos étudiants lui ont fait fête. C’est dire l’accueil qu’un petit Canadien pouvait recevoir chez lui. De mes visites à Ti-Chansonniou, j’ai gardé une petite photo que j’ai fait agrandir en deux copies, dont l’une se trouve à Outremont, et l’autre à la Baie des Ormes, à Vaudreuil.

Telles furent à Crec’h Bleiz mes vacances de 1908. Ce séjour de trois mois dans la société d’un très noble esprit, — et j’oserais même dire, d’un saint laïc, — je l’ai toujours regardé comme l’une des grandes grâces de ma vie.