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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/250

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mes mémoires

Tristesse de ce départ

J’arrivai à Valleyfield dans les premiers jours de septembre. Je ne me souviens pas d’avoir pu rendre visite à Mgr Émard. Était-il absent ? Était-il encore à Port-Lewis, sa résidence d’été ? Au Collège où les classes étaient reprises depuis quelques jours, j’eus le désagrément d’apercevoir mes bibliothèques et mon bagage sortis de ma chambre et jetés pêle-mêle dans le corridor. On ne pouvait ignorer, puisque je l’avais écrit, que je serais là dès les premiers jours de l’année scolaire. Le nouvel occupant de mon ancienne chambre n’avait eu ni la délicatesse, ni la décence d’attendre. Et cela s’était fait à la porte de mon vis-à-vis, le supérieur, l’abbé Sabourin, que je considérais, sinon comme l’un de mes amis, du moins, comme un sympathisant. Mais le vent avait tourné. On ne voulait pas se compromettre, sans doute avec le galeux que j’étais devenu. L’indélicatesse me froissa tellement que je décidai d’aller prendre tous mes repas en ville chez des parents. Je ne reparus pas à la table des prêtres. L’un de mes anciens élèves et pénitents, extrêmement dévoué, Donat Boutin, futur jésuite, se chargea charitablement de fréter mon bagage et de l’expédier à Montréal. Et ce furent pour moi les adieux du collège où j’avais pourtant quelque peu travaillé. Je ne quittais pas Valleyfield en expulsé. Je pouvais même considérer mon entrée à Montréal comme une promotion. Mais je partais ; et je partais pour mon nouveau diocèse sans poste bien défini. Tout un petit monde me considérait forcément comme un vaincu. J’étais l’homme qui avait dû lâcher prise et dont l’on allait enfin se débarrasser. De là le sans-gêne de quelques-uns et la volte-face de quelques autres. Quelle attitude adopterais-je toutefois à l’égard de ce monde avec qui j’avais vécu presque quinze ans de ma vie ? Il me répugnait de me donner l’air théâtral, de secouer la poussière de mes souliers et de me renfermer dans une mine de boudeur. Cette fois encore, les hommes m’aideraient à régler