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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/278

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mes mémoires

comment et pourquoi, en ce printemps de 1916, je me trouvai investi d’une mission de propagande. J’irais annoncer dans les maisons d’enseignement secondaire l’affiliation de l’École des Hautes Études commerciales à l’Université ; mais surtout, j’aurais à prêcher à la jeunesse, une orientation opportune et même urgente vers les carrières économiques : carrières où l’avenir de notre peuple se trouvait largement engagé. Eh oui ! et cela se passait dès 1916. Me permettra-t-on de le rappeler à ceux-là qui croient que le souci économique date de leur apparition dans le monde ? Et je le rappelle aussi pour qu’on réfléchisse une fois de plus sur la lente germination des idées au Canada français. J’emploierai plus de deux mois à faire le tour des collèges : randonnée qui me mènera de Montréal à Rimouski et Chicoutimi et jusqu’à Mont-Laurier. Presque partout on m’accueille chaleureusement. En plusieurs collèges, après ma conférence sur l’École des Hautes Études commerciales, on en veut une autre sur quelque autre problème d’éducation ou de la vie nationale du Canada français. Et l’accueil que l’on me fait, je ne puis me le cacher, je le dois, pour la grande part, à l’émotion suscitée en ces milieux par les récents cours d’histoire du Canada, tellement ce simple et premier réveil du passé avait touché les âmes en leur fond. Comme un peuple aime retrouver son visage ! Cette émotion, je l’ai ressentie à Montréal même. Pendant toute cette année, j’ai éprouvé le sentiment qui fut celui de Garneau, plus d’un siècle et demi auparavant, celui de découvrir à mes compatriotes leur histoire. En quelques endroits, en deux tout au plus, se fait-on prier pour recevoir le missionnaire nouveau genre. D’aucuns, qui craignaient déjà que l’apostolat laïc dans l’ACJC ne détournât des vocations sacerdotales, redoutent, pour les mêmes fins, l’attrait des nouvelles carrières. Mission opportune et féconde quand même. Dès septembre suivant, quelques bacheliers ès arts prennent le chemin de la grande École de la place Viger. Par suite de la rigoureuse sélection décrétée par notre Comité de perfectionnement, 35 étudiants au plus obtiennent leur admission. C’était loin des 125 de l’année précédente. Mais, de ce jour-là, ai-je souvent entendu dire, l’institution aura pris l’élan et le caractère de haute distinction qu’elle a gardée.

J’achevai mes courses juste à temps pour prendre quelques semaines de vacances. Une Providence qui a emprunté la voix